format collation

Que signifie l’expression « format collation » ?

« J’écoute Occupation Double – Chypre et j’ai entendu le candidat Yorick dire qu’il aimait les filles en « format collation». Je ne suis pas sûre de comprendre ce qu’il veut dire par là. Peut-on m’expliquer ?  »

Pour les gens qui ne connaissent pas cette émission, Occupation Double (ou OD pour les intimes) est une téléréalité sur Noovo dans laquelle des célibataires cherchent l’amour… et le prix – non négligeable – qui revient au couple gagnant, soit un chalet d’une valeur de 450 000$. 

Cette saison, en plus de la candidate Naomi qui s’est écrié « C’est mon rêve, j’adore les prisons! » en apprenant qu’un candidat était agent correctionnel, l’expression colorée de Yorick a certainement été l’une des plus discutées. Décortiquons-la pour notre auditrice.  

Écouter la chronique audio.

Le langage du désir

Mettons tout de suite les choses au clair : le jeune homme a rapidement spécifié qu’il n’avait aucune mauvaise intention derrière la tête. Ma chronique ne se veut d’ailleurs pas un commentaire sur ce dernier – que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam – mais plutôt sur les effets de son franc-parler. 

Dans une entrevue avec le site Showbizz.net, il disait trouver drôle de comparer les filles à de la nourriture puisqu’il travaille dans le milieu de la restauration et aussi pour se créer un personnage. C’est quand même un spectacle télévisuel. Mais, pour lui, l’expression fait avant tout référence à, idéalement, une fille « en bas de 5 pieds 8 ». 

Si l’expression a fait réagir malgré tout, c’est que, pour beaucoup de gens, elle en dit long sur ce que le langage peut révéler de nos désirs, des attentes corporelles face à la féminité, mais également des rapports de pouvoir qui existent dans les relations hétéronormatives. Je m’explique. 

Objet de consommation

Une collation, c’est un repas qui se prend sur le pouce. C’est un petit format, facilement transportable, dont on peut aussi disposer rapidement, une fois consommé. Le concept de l’éphémérité émerge donc rapidement dans ce type de langage, car on pense à une relation basée sur la consommation rapide. À preuve, la candidate à qui Yorick a lancé cela, notre fan de milieux carcéraux Naomi, lui a répondu que cela « l’écoeurait ». On peut facilement imaginer le malaise de cette dernière à l’idée de se faire potentiellement traiter comme un snack. (Il y a des gens qui aiment ça et c’est aussi très correct!) 

D’ailleurs, fait intéressant : en anglais, on utilise l’expression snack pour désigner une personne qu’on trouve attirante. Par exemple : She’s a total snack! (Elle est à croquer !) Par contre, contrairement à « format collation » qui implique un gabarit, une silhouette et, l’expression le dit, un format, être « a total snack » peut s’appliquer à tout type de corps et à toute apparence physique qu’on trouve attirante. Et s’il y a une notion de consommation derrière (être snackable), elle est toutefois moins directe que celle d’être perçu comme un quatre-heures à avaler en 5 minutes et à oublier sitôt enfourné.    

One Size Fits All ?

Lorsqu’on applique cette logique du « format collation » à une femme, on passe aussi le message qu’on privilégie un certain type de corps et une certaine apparence. Comme l’indique ma collègue Laïma A. Gérald dans le magazine Urbania, on sent dans cette affirmation « une préférence pour des femmes petites et délicates ». La collation a aussi quelque chose d’infantilisant. C’est petit, mignon; une version miniature et « cute » d’un repas qu’on prend à la volée. C’est la femme désirable parce qu’elle est jeune, pleine de fraîcheur et plaisante au regard. Ajoutons à cela que ce qui est petit et mignon est souvent fragile et docile. Bref, ça ne prend pas de place, c’est délicat et aisément abimé si l’on n’y fait pas attention. 

Tout ceci nous ramène à l’idée que, malgré les efforts mis en place pour valoriser une diversité de corps et des physionomies plurielles, on demeure encore aux prises avec des injonctions corporelles féminines précises : être petite, menue et jeune. Sans oublier les attentes traditionnelles envers les attitudes liées à la féminité qui ne sont jamais bien loin de nous (elles reviennent d’ailleurs en force dans les écoles via des discours masculinistes) : soumission, dépendance, humilité, dévotion (au conjoint, aux enfants, à la vie de famille, etc.).  

Des expressions déshumanisantes  

Yorick n’est pas le seul à utiliser des analogies du genre; il en existe des tas. Pensons à des expressions comme boyfriend/girlfriend material. C’est une façon de différencier une personne qui a le potentiel de devenir un ou une partenaire pour une relation sérieuse versus une personne qui n’a pas les qualités requises pour y accéder, mais suffisamment pour qu’on souhaite avoir des relations sexuelles avec elle. 

Si certaines personnes sont très à l’aise à l’idée d’être perçues comme du « matériel à relation » ou du « matériel sexuel » – et ça se peut très bien, dans un jeu de pouvoir entre personnes consentantes dans une dynamique BDSM, par exemple  –   de nombreuses autres ne sont pas nécessairement enchantées d’être objectifiées de la sorte. Et c’est aussi ce qui ressort de l’expression « format collation » qui a fait tant réagir. On sent une objectification des personnes – dans le cas de Yorick, de potentielles partenaires féminines – qui sont ciblées par ce commentaire. Il peut y avoir un aspect déshumanisant à ne pas être pris dans toute sa complexité d’être humain et de se sentir réduit.e à des critères esthétiques et physiques. 

Stéréotypes et clichés

Sur le compte Instagram d’Apéro sexo qui font de la création de contenu et de l’éducation à la sexualité, on a fait appel à Jacob Lalongé, un doctorant en psychologie sociale pour analyser le tout et il apporte un élément intéressant. Il explique que c’est normal d’avoir certaines préférences et intérêts, mais que la façon de l’exprimer compte aussi. Pour lui, il peut même y avoir une part de fétichisme dans l’appellation utilisée – soit le fameux « format collation ». 

Comme sexologue, cette analyse m’amène à comparer cela aux catégories qui sont largement reprises dans la porno. Lorsqu’on en consomme, on cherche ou on se voit souvent offrir des contenus qui vont se décliner via des types de corps (ex. : couleur de peau, grosseur de poitrine, de fesses, etc.), des rôles (ex. : la belle-mère, la belle-sœur, la cousine, l’inconnue, etc.) ou, encore, des attitudes (ex. : gênée, colérique, vicieuse, etc.). Ultimement, on sait que c’est une reconduction de stéréotypes qui est là pour répondre à un besoin de satisfaction rapide et amplifier des fantasmes précis. 

Le rapport avec « format collation » ? Eh bien, l’expression reconduit aussi – sans le vouloir, si l’on en croit le candidat d’OD – une forme de cliché féminin. Un idéal fantasmé qui répond à certains critères attendus et normalisés. Et, entendons-nous : l’inverse pourrait aussi être vrai chez les hommes. Il existe aussi des normes et injonctions auxquelles les personnes masculines doivent répondre, comme la grandeur, la musculature, la chevelure, la pilosité, etc. Ce sont des dynamiques qui peuvent amplement se reproduire d’un côté comme de l’autre. 

Un signe des temps 

Dans une époque où le monde ne va pas très bien et où les mauvaises nouvelles affluent, on peut trouver farfelu et ridicule de faire une analyse approfondie d’une formulation lancée sans trop y penser dans un show de télé-réalité pas nécessairement réputé pour sa profondeur. Je vous entends. Cela dit, nous sommes aussi dans une ère où, on l’apprenait dans un grand dossier du magazine L’Actualité paru début octobre, les jeunes générations – particulièrement les Gen Z – connaissent un fossé idéologique important entre les hommes et les femmes. Et ça, ça affecte énormément le dating et les relations amoureuses. OD inclus. 

Cela se voit dans le fait que de plus en plus de jeunes femmes délaissent l’hétérosexualité, que de nombreux jeunes hommes font un virage plus conservateur, que des femmes refusent dorénavant de dater des hommes qui ne consultent pas de psy, sans oublier la polarisation qui s’installe de plus en plus sur les plateformes numériques. Dans ce contexte, il est un peu normal que le fameux « format collation » devienne, en quelque sorte, un symbole d’un problème encore plus grand, soit cette dissension profonde qui existe chez les jeunes gens. 

Bref, d’OD à une analyse sociologique approfondie des relations chez les Gen Z, il n’y a qu’un pas. Ce n’est pas pour rien que de nombreux médias – Urbania, le balado Les ficelles et Moteur maintenant – s’intéressent à ce phénomène social qu’est Occupation double; c’est une lunette sur des interactions sociales complexes et, pour la sexologie, une fascinante forme de laboratoire pour mieux comprendre la nature humaine. 

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