Si vos ados sont sur Tik Tok, vous avez peut-être entendu parler du nouveau mot-clic qui fait réagir bien des gens sur la plateforme. On parle ici de #SuperStraight, un terme popularisé par l’influenceur américain Kyle Royce. Dans une vidéo qui a cumulé des millions de vues en quelques heures, il lançait cette supposée nouvelle orientation sexuelle qu’on pourrait traduire par #SuperHétéro. En résumé, il s’est fait traiter de transphobe parce qu’il refuse de dater une femme trans. Il explique que, pour lui, une femme trans n’est pas – et je cite – une « vraie » femme. Sa vidéo a servi à répondre à la critique et pour s’affirmer, comme on le sait maintenant, #SuperStraight.
Selon bon nombre de personnes impliquées dans le mouvement, #SuperStraight est valide et devrait s’inscrire dans le sigle LGBTQ+. Des gens ont même créé un drapeau, tout comme le drapeau arc-en-ciel existe pour représenter la diversité sexuelle et de genre. Évidemment, et avec raison, ça n’a pas, mais pas du tout passé. Tik Tok a, depuis, banni le mot-clic de sa plateforme, car il fait « la promotion de propos haineux à l’encontre de groupes marginaux ou vulnérables ». Des tas de gens ont répondu au populaire Tik Tokeur pour lui dire à quel point sa vidéo est violente. Le problème aussi, c’est que de nombreuses personnes ont quand même embarqué dans le mouvement, dont des jeunes – le public-cible de Tik Tok – sans trop se questionner sur les enjeux qui sont sous-jacents et sur le message que ça passe.
Bref, petit tour d’horizon d’un mot-clé qui crée beaucoup de remous.
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Un mouvement transphobe…
Plusieurs problèmes émergent de ce mot-clic, mais le plus marquant est qu’il s’agit d’une position extrêmement transphobe. Pour ceux et celles qui ne sauraient pas ce qu’est la transphobie, un petit rappel:
Transphobie (n.f.): faire preuve d’aversion envers les personnes trans, aversion qui peut se traduire en gestes et propos discriminatoires, hostiles, voire violents.
Les gens qui ont suivi la vague lancée par Royce – une majorité d’hommes blancs cisgenres et hétérosexuels – ont renchérit sur le fait qu’ils étaient #SuperStraight, car ils décident d’être en relation seulement avec des personnes nées femmes, donc cisgenres. Conséquemment, ils refusent de sortir avec une personne trans. Le problème, comme l’explique bien Mashable qui a repris la nouvelle, ce n’est pas de refuser une relation intime avec quelqu’un.e qui s’avère être une personne trans. Parce que ça se peut. Si ça ne clique pas, qu’on ne le sent pas, que le courant ne passe pas.
Mais, dans ce cas-ci, c’est directement le fait de discriminer une personne PARCE qu’elle est trans. Pas parce qu’on n’a pas d’atomes crochus ou qu’on est incompatibles. Simplement parce que la personne est trans. Ça, c’est de la transphobie. Même si les gens qui utilisent le mot-clic s’en défendent en répétant que c’est «juste une préférence», c’est tout de même transphobe. Au même titre que ce serait du racisme de dire: «Je ne veux pas dater de personnes noires». Ou qu’on tomberait dans le fétichisme, si une personne ne souhaite avoir des relations intimes qu’avec des personnes noires. C’est aussi passer le message qu’une femme trans n’est pas une vraie femme ou qu’un homme trans n’est pas un vrai homme. Ça invalide ces personnes, en plus de les réduire à leurs organes génitaux.
Et homophobe
Se dire «super straight», c’est aussi une réflexion particulièrement homophobe. En adoptant cette «orientation sexuelle», on affirme, en quelque sorte, qu’être simplement hétéro n’est pas assez et qu’il faut le prouver en refusant d’avoir une relation intime avec une femme trans. Si on suit leur logique toujours, ça veut donc dire que, si on accepte d’aller vers une femme trans en tant qu’homme hétéro, ce serait un peu homosexuel, puisque la personne est née homme? C’est vraiment une association dangereuse qui peut amener beaucoup de dérives.
De plus, ça instaure une forme de degré de qualité dans l’orientation sexuelle, mais c’est aussi faire fi de la fluidité qui existe dans ce domaine. On peut d’ailleurs se rappeler d’Alfred Kinsey, cet entomologiste et zoologue qui a fait des études poussées sur la sexualité humaine et qui nous a offert l’échelle de Kinsey, dans les années 1950. Échelle qui démontre la diversité des orientations sexuelles et qui remet en question la fameuse hétérosexualité, censée être immuable. Alors qu’il n’en est rien.
S’approprier des luttes qui ne leur appartiennent pas
Les personnes LGBTQ+ ont été et sont encore discriminées, marginalisées, persécutées et et violentées au quotidien. En considérant l’appellation #SuperStraight comme une orientation sexuelle au même titre que des orientations sexuelles minorisées et en créant un drapeau pour la «reconnaissance» de celle-ci, c’est s’approprier des luttes importantes et qui, dans le cas des gens qui se réclament de cette «préférence», n’ont pas lieu d’être. Pourquoi? Eh bien, parce qu’être hétérosexuel.le, c’est la norme. Personne n’a à se défendre d’être hétérosexuel.le, puisque c’est l’orientation sexuelle par défaut, celle qui nous est indiquée dès notre naissance. Ce n’est pas du tout comprendre pourquoi existe un sigle comme LGBTQ+, son drapeau et ses efforts de visibilisation. C’est occulter des décennies de luttes et de violences pour suivre une tendance qui n’a aucun sens.
Un exemple de masculinité toxique
En novembre dernier, je vous parlais d’une tendance populaire sur les réseaux sociaux: le No Nut November, un défi qui consiste à ne pas se masturber et ne pas éjaculer et ce, pendant tout le mois de novembre. On a vu que cette mode met en lumière un discours culpabilisant qui met de l’avant les codes de ce qu’on appelle la masculinité toxique. C’est-à-dire des stéréotypes (ex.: un homme ne pleure pas, ne montre pas ses émotions, etc.) qui sont reconduits via des construits sociaux, mais qui sont nuisibles aux personnes qui se disent hommes. Parce que ces soit-disant composantes masculines créent une pression à performer une masculinité qui, souvent, est inatteignable, irréaliste. Et ça crée alors de la détresse.
Le rapport entre No Nut November et #SuperStraight? Les deux mouvements dictent une certaine forme de masculinité à respecter. D’un côté, on prône une masculinité virile et débordante, tellement qu’on doit la contrôler par la contrainte (le mois sans masturbation) versus les faibles qui ne réussiront pas le défi. De l’autre, on prône une super hétérosexualité rehaussée, amplifiée versus une hétérosexualité vue comme incomplète. Dans les deux camps, une seule idéologie; celle du super-héros. De l’homme qui ne cède pas à ses faiblesses, qui démontre une droiture, une pensée ferme et sans failles et une sexualité non questionnable. Bref, un surhomme quoi. Ce qui n’est pas sans rappeler… l’idéologie nazie.
#SuperStraight, super d’extrême-droite ou super… néo-nazis?
Non, pas de point Godwin à l’horizon, c’est qu’il y a bel et bien des liens entre cette idéologie issue d’un pan de l’histoire extrêmement sombre et le mouvement #SuperStraight. C’est qu’en fait, entre Tik Tok et 4chan, il semble que les gens ne s’entendent pas à savoir d’où a réellement émergé le mot-clic. Mais toujours est-il que 4chan, une plateforme web qui a la réputation d’être un terreau fertile de la droite radicale américaine, possède une chaîne Super Straight. Dans laquelle on a pu voir qu’on fait référence au mouvement en tant que SS. Oui, en référence à la Schutzstaffel, le nom qu’on a nommé à ce qui était au départ la garde rapprochée de… Hitler. Encore mieux (#not), des variantes du drapeau #SuperStraight ont été faites avec des visuels qui reprennent l’esthétique nazie. C’est qui est assez grave, et lourd de sens.
De ce qu’on en comprend rapidement, on a créé un mot-clic pour volontairement mettre le feu aux poudres et, au passage, tenter de décrédibiliser les communautés LGBTQ+. C’est avec cette idée en tête que le mot-clic a pris son essor et a fait son chemin, malheureusement. Les communautés de la droite radicale américaine, aussi appelée alt-right, ont malheureusement de très importants porte-voix sur le Web pour mettre de l’avant des valeurs racistes, homophobes et transphobes, pour ne nommer que celles-là. Et c’est très préoccupant.
Ouvrir la discussion pour contrer la désinformation
On pourrait alors dire qu’on devrait simplement ne pas s’en préoccuper et passer son chemin. Le problème, c’est que beaucoup de jeunes. qui n’ont pas nécessairement le recul critique et la maturité pour comprendre ce qui est nocif là-dedans. Ce sont des contenus qui peuvent être marquants quand on est à un âge où l’on tente de se définir, de naviguer à travers les attentes sociales, etc. Ces jeunes peuvent adhérer à ces idéaux sans trop comprendre dans quoi ils.elles s’embarquent et peuvent relayer ces informations sans comprendre l’impact que ça peut avoir.
Donc, ça donne de la visibilité. Beaucoup de visibilité. Ça se compte en millions de vues. On aimerait que ce genre de mouvement meurt dans l’œuf; mais ce n’est pas le cas. Et c’est, chaque fois, un colossal travail de déconstruction de mythes et d’éducation doit se faire. Et ça, c’est épuisant pour n’importe qui, mais encore plus pour des communautés déjà marginalisées ET persécutées au quotidien.
Bref, un mouvement peut-être risible pour certain.es, qui sera, on l’espère, oublié très vite, mais qui, malheureusement, dénote d’une violente intolérance envers la différence. Et ce n’est pas le seul du genre sur Tik Tok et d’autres médias sociaux primés par les jeunes qui y verront peut-être là des tendances cool à suivre. Tendances qui cachent parfois de sombres idéaux. Morale de l’histoire: parlez avec vos jeunes de ce qu’ils et elles voient passer sur Tik Tok, YouTube et cie; ça peut amener d’importantes discussions qui vont permettre de défaire des mythes, de contrer la désinformation et remettre les pendules à l’heure.