Vous avez peut-être vu passer, début septembre dernier, le scandale qu’a créé une clinique de Santa Barbara, en Californie. Des employé.e.s ont voulu faire le buzz sur tikTok en montrant les fluides laissés sur les chaises d’examen par des personnes clientes, après que celles-ci aient reçu des soins gynécologiques. La vidéo était accompagnée de phrases comme « Devinez la substance ! », avec les soignant.e.s, tout sourire et le pouce en l’air. Imaginez maintenant la personne cliente qui sort de cette clinique et voit ça.
Évidemment, cela a soulevé un tollé et la vidéo a été retirée dans les heures suivantes. Mais le Web était déjà enflammé. En mode gestion de crise, la clinique a rapidement congédié les fautifs et fautives. Elle a aussi fait paraître un communiqué, se confondant en excuses. Trop peu, trop tard, pourrions-nous dire.
Cela a permis d’entendre plusieurs médecins et professionnel.le.s de la santé s’exprimer à leur tour sur les plateformes sociales. Pour la plupart, un même message : pourquoi avoir fait ça alors que c’est déjà difficile pour la clientèle d’accorder sa confiance aux médecins et, particulièrement, aux gynécologues ?
Ce qui nous amène à notre question initiale : pourquoi il existe encore une peur d’aller chez le ou la gynécologue ?
Un examen vulnérabilisant
Évidemment, ce genre d’événement n’aide pas, mais un examen gynécologique, c’est aussi extrêmement vulnérabilisant. Le bas du corps mis à nu, les pieds sur les étriers, un spéculum inséré dans le vagin, la tête d’un.e gynéco entre les jambes; on a connu plus confortable. D’ailleurs, le médecin, écrivain et allié féministe français Martin Winckler a déjà dit qu’il suggérait à tout médecin de tester cette posture. Le but avoué ? Se mettre dans la peau des personnes qui y passent, question d’humaniser leur pratique.
Bref, la plupart du temps, ce n’est pas une partie de plaisir. Mais au-delà de l’examen lui-même, il y a aussi toute la relation de pouvoir qui est présente. Être en face d’une figure d’autorité médicale – sarrau blanc à l’appui – peut être rassurant, mais aussi déstabilisant. Pour plusieurs personnes, cela constitue un frein à nommer ses besoins et limites. De plus, les violences gynécologiques et obstétricales sont bien réelles. D’ailleurs, en 2022 lors d’une entrevue à Radio-Canada, la directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), Diane Francoeur, reconnaissait leur existence. Elle disait vouloir « tout faire et tout mettre en œuvre pour que ça cesse ».
Différentes sources de stress et d’anxiété
Parmi les craintes et problématiques fréquemment évoquées par les personnes soignées, on pointe celles-ci :
- Un manque de communication sur les gestes posés et les examens administrés. C’est-à-dire une absence de consentement éclairé face aux soins offerts;
- La peur du jugement : face au poids, à l’hygiène corporelle, à la gestion de la pilosité, aux choix contraceptifs, mais également face à la vie sexuelle (ex.: avoir plusieurs partenaires, préjugés sur l’orientation sexuelle, etc.);
- L’infantilisation qui est parfois ressentie face au personnel médical qui se place en position d’autorité face à la personne soignée, même si celle-ci est l’experte de son propre corps et son ressenti;
- La douleur ou l’inconfort physique minimisée par les personnes soignantes;
- Le fait que, pour de nombreuses personnes encore, aborder tout ce qui se passe en bas de la ceinture est difficile, voire tabou. Que ce soit pour des raisons culturelles, religieuses ou personnelles;
- Des antécédents traumatiques qui ne sont pas pris en compte ou banalisés (ex. : violences gynécologiques, obstétricales, sexuelles, médicales, etc.).
On peut aussi ajouter à la liste toute la question des stérilisations forcées chez les femmes autochtones.
Dans une lettre ouverte parue dans La Presse l’an dernier et signée par Mauril Gaudreault, président du collège des médecins ainsi que Suzy Basile, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones et coauteure du rapport Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec, on peut y lire que « Certaines d’entre elles confiaient avoir subi des interventions gynécologiques ou obstétricales à leur insu ; d’autres décrivaient les pressions exercées par le personnel médical pour qu’elles consentent à une stérilisation. »
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Un enjeu systémique
Le problème ne vient pas d’une poignée de soignant.e.s seulement, mais il est plutôt systémique. Il peut se voir un peu partout dans le monde. Pensons à la France avec le mot-clic #PayeTonUtérus, lancé en 2014 pour dénoncer les violences vécues chez les gynécologues. Les États-Unis ne sont pas en reste non plus. La série balado du New York Times, The Retrievals, nous offre une plongée dans ces violences qui donnent froid dans le dos.
Au Québec, le récent balado Frue menstrue, disponible sur OhDio, nous amène dans la quête de l’animatrice Émilie Fournier – souffrant elle-même d’endométriose – pour comprendre pourquoi la douleur des femmes est trop souvent mise de côté, voire effacée.
Il y a également le projet PAROLES pour Pluralité et Amplification des voix pour le Respect dans les soins Obstétricaux et gynécologiques. Celui-ci est mené par Sylvie Lévesque, professeure au département de sexologie de l’UQAM. Avec une équipe de recherche, cette dernière a pu recueillir 1600 témoignages de personnes ayant eu recours à des soins gynécologiques et/ou obstétricaux dans les sept dernières années. Elle confiait à La Presse que, là-dessus, plusieurs ont avoué ne plus vouloir avoir recours à ces soins par peur de revivre des situations difficiles et ce, même si des soins sont nécessaires. Elle affirme également que des personnes ont dit « [ne plus vouloir] d’autres enfants après des problèmes lors d’un accouchement. »
Et ça, c’est sans oublier toutes les violences que subissent les personnes LGBTQ+, les personnes trans et non binaires particulièrement, qui vont consulter dans ces services. Mégenrage, méconnaissance des réalités trans et préjugés sont le lot de bien des personnes qui consultent, malheureusement.
Des solutions concrètes
Alors, que peut-on faire pour enrayer la peur, sachant les nombreux enjeux qui se cachent derrière ce type de soins ?
Du côté des personnes soignantes
Avec le projet PAROLES, chapeauté par Sylvie Lévesque, le but est de créer une charte de soins afin de faciliter le travail du personnel médical. Elle souhaite offrir « des recommandations pour les dirigeants politiques ainsi que pour les divers regroupements et les différents ordres professionnels. » On espère que cela aidera à apporter des changements dans cette culture et permettra de former des professionnel.le.s en santé mieux avisé.e.s.
Sinon, les personnes soignantes devraient :
- S’assurer du consentement éclairé;
- Expliquer les gestes, les soins effectués et les recommandations avant, pendant et après;
- Être à l’écoute de la personne soignée;
- Créer un espace sécurisé.
Du côté des personnes soignées
Il n’y a pas de solution miracle. Les systèmes qui échouent à bien s’occuper des femmes et personnes avec un vagin/utérus doivent être améliorés. En attendant, certaines stratégies personnelles peuvent être mises en place :
- Être accompagné.e;
- Amener une liste de questions et prendre des notes;
- Nommer ses besoins et limites, mais aussi ses craintes et appréhensions;
- Se rappeler qu’il existe des droits comme patient.e, comme stipulé dans la Loi sur les services de santé et de services sociaux (LSSSS). Cela inclut, entre autres : le droit de consentir à des soins ou de les refuser et le droit de participer aux décisions.
Sinon, on se souhaite que, dans un avenir proche, de meilleures conditions soient mises en place pour recevoir et traiter les personnes qui consultent en gynécologie. Parce que ce n’est pas aux patient.e.s de s’empêcher d’avoir des soins ou de changer sa décision d’avoir des enfants pour ne pas (re)vivre des violences, c’est au système de santé de faire mieux.
