sexe féminin méconnu

Pourquoi connaît-on encore si mal le sexe féminin ?

Dans les derniers mois, certaines influenceuses françaises ont eu des propos assez consternants à propos du sexe féminin. En effet, deux candidates de télé-réalité, Sarah Fraisou et Maéva Ghennam ont fait la promotion de produits très problématiques. D’un côté, Sarah Fraisou a promu des « capsules de rétrécissement intime ». Le but de ce produit? Aider le vagin à se resserrer pour « éviter une tromperie par son mari ». De l’autre, Maéva Ghennam a encouragé ses fans à avoir recours à une chirurgie du vagin. « C’est important d’avoir un beau vagin » dit-elle, tout en s’extasiant d’avoir dorénavant un sexe « comme si elle avait 12 ans ». Évidemment, les réactions ont été vives. Mais il reste que si ces produits existent, c’est que des gens en achètent.

Comme j’en discutais dans une chronique sur l’hygiène féminine l’an dernier, le sexe féminin est encore et toujours questionné, souvent considéré inadéquat et malpropre. Comme en témoignent d’ailleurs les 1001 produits d’hygiène féminine qui existent pour le nettoyer. Pourtant, en 2022, on en connaît des choses sur le sexe, non? Eh bien, peut-être pas encore autant qu’on le croirait. 

Écouter la chronique audio.

*Je vais parler de sexe féminin et masculin pour y aller avec les nomenclatures de l’époque et les écrits scientifiques consultés. 

L’origine du monde (féminin)

L’historien Thomas Laqueur nous rappelle que, jusqu’au 18e siècle environ, on utilise le modèle à un sexe pour parler de sexualité et de reproduction. Ce qu’on entend par là, c’est qu’on croit que le sexe masculin est le sexe « de base », tandis que le sexe féminin est perçu comme une version incomplète. À cette époque, on est toujours dans les théories galliennes (du médecin de l’Antiquité Claude Galien). Selon lui, le vagin est un pénis inversé à l’intérieur du corps. C’est le manque de souffle vital qui l’empêche de sortir. De là la faiblesse féminine ou l’idée du sexe faible. 

Il y a aussi toutes les théories sur le fait que l’utérus serait « une personne dans une personne » ou « un animal dans un animal » et qui stipulent que cet organe se promène à travers le corps; on doit donc le discipliner pour qu’il retrouve sa place. Cela, c’est sans compter tout ce qui a été dit sur le sang menstruel, perçu pendant longtemps comme dégoûtant, voire malsain. En somme, on estime que le sexe féminin est indomptable, sale et de moindre intérêt. Donc, on part de loin. 

Vulve ou vagin?

De nos jours encore, on a de la difficulté à faire la différence entre la vulve et le vagin. Pourtant, ce ne sont pas du tout les mêmes éléments. La vulve est ce qui constitue l’extérieur du sexe féminin, soit les lèvres qu’on appelle souvent « grandes et petites », mais qu’on devrait plutôt appeler internes et externes. En effet, comme chaque personne a un corps différent, il se peut que les lèvres internes dépassent et soient plus grandes que les lèvres externes. On va donc préférer des mots qui font référence à la position de celles-ci, soit à l’intérieur ou à l’extérieur.

Il y a aussi le clitoris ainsi que le mont de Vénus et les glandes de Bartholin. Le vagin, quant à lui, est un conduit rattaché au col de l’utérus. Il se termine au niveau de la vulve et donne accès à l’extérieur du corps. C’est par le vagin qu’il y aura pénétration d’un sexe, d’un jouet sexuel, d’un tampon, etc. En fait, ce n’est pas très confondant. 

Mais quand même des marques qui vendent des produits d’hygiène pour le vagin – produits inutiles et potentiellement même dangereux, faut-il le rappeler – il n’est pas étonnant de voir que le public se mélange. Je fais ici référence à Vagisil et son produit OMV! (Oh my vagina!), lancé en mars 2021 et ayant pour cible les jeunes filles. On se rappellera que le produit ne s’utilise que sur les parties externes du sexe. C’est-à-dire la vulve. Pas le vagin.

1001 lèvres

Les lèvres sont aussi la source de grandes insécurités chez beaucoup de personnes avec une vulve, notamment chez les jeunes. Selon une revue de la littérature scientifique parue dans Nature en 2021 et qui porte sur les personnes mineures ayant recours à la labiaplastie (réduction des lèvres internes), on estime qu’entre 2015 et 2019, l’utilisation de cette chirurgie esthétique a augmenté de 73,3%. Cela fait de cette chirurgie la 15e plus populaire dans le monde.

La faute revient à qui? Eh bien à plein de représentations culturelles qui nous montrent que des sexes glabres et lisses. On nommera la porno, mais elle n’est que le reflet de notre société. Les Instagram et TikTok de ce monde ne sont pas en reste, ni non plus les films, vidéoclips, magazines et publicités qui misent sur des corps assez normatifs et souvent stéréotypés. Nulle part on nous a appris, par exemple, que les lèvres pouvaient être totalement différentes d’une personne à l’autre et qu’il n’y a pas de standard.

Le problème avec cela, c’est que ça donne l’impression à bien des jeunes filles, par exemple, que leur sexe est inadéquat et devrait correspondre à un certain idéal de beauté. On sexualise les corps féminins, mais on les veut lisses comme des Barbie. Pas pour rien que Sex Education sur Netflix adresse le problème. L’un des personnages, Aimee, découvre que les vulves sont hyper variées, différentes et toutes uniques. Elle en fait même des cupcakes! Il y a même eu une collaboration avec The Vulva Gallery, un projet qui célèbre la diversité des vulves, pour créer le site All Vulvas Are Beautiful (Toutes les vulves sont belles). 

(Re)découvrir le clitoris

Le clitoris est un grand oublié de l’histoire de la sexualité. Ce n’est qu’en 2016 qu’une chercheure française, Odile Fillod, a produit le tout premier clitoris en 3D afin d’en montrer la structure complète. Et ça aura l’effet d’une bombe. Tout le monde s’arrache la scientifique pour entendre parler de ce fameux organe et lever le voile sur le mystère qui l’entoure. C’est que, pour bien des gens, c’est la toute première fois qu’on prend conscience qu’en le montrant comme un tout petit bouton dans les livres d’anatomie – si on le montre point! – on se fourre un doigt dans l’œil et assez profondément merci.

En effet, le clitoris est une construction complexe dans laquelle on retrouve le corps coudé, le gland du clitoris, les piliers latéraux et les bulbes vestibulaires. Il peut faire de 10 à 15 centimètres et c’est le seul organe destiné seulement au plaisir. Et c’est aussi en connaissant mieux cet organe qu’on réalise que la comparaison dont ont souvent souffert les personnes avec un vagin – le fameux « vaginale versus clitoridienne » – ne tient pas la route. C’est le clitoris qu’on stimule et qui réagit. 

Une histoire d’oublis et… de déni

Cette partie de l’anatomie féminine aurait été découverte en 1559 par le médecin italien Matteo Realdo Colombo. Cependant, il semble que cela soit contesté par Gabriele Falloppio – le découvreur des trompes de Fallope. C’est dans un article de la revue Archives of Sexual Behavior intitulé « A History of the Clitoris », qu’on rapporte que, selon Falloppio, Colombo lui aurait volé ses notes et donc la paternité de la découverte. Nonobstant cette guerre intestine, il semble que le clitoris a plutôt été découvert à l’Antiquité par Soranos d’Éphèse et Rufus d’Éphèse. Dans leurs écrits, ils ont parlé de stimulation du clitoris pour la masturbation et ont appelé cette partie kleitoris, donc clitoris, en référence au mot kleitoriazien (titiller ou clitoriser). 

Il nous faut malheureusement revenir à Galien, dont on a parlé en début de chronique. Il remet en question les découvertes précédentes et fait disparaître de ses écrits très influents la mention du clitoris. Pendant des siècles, on oubliera cet élément qui n’est pourtant pas anodin. On le retrouve au Moyen-Âge où il est démonisé et considéré comme une partie honteuse de l’anatomie féminine. Ce sera ainsi à plusieurs reprises; on le redécouvre, pour mieux le perdre à nouveau et le redécouvrir et ainsi de suite. La faute à Freud, entre autres, qui considère que la jouissance féminine et la sexualité mature se vivent via une pénétration par un pénis.

En résumé, on a fait du déni face au sexe féminin. Mais la conséquence est lourde : on a retiré aux personnes avec un clitoris le droit de pouvoir en jouir – c’est le cas de le dire – en toute connaissance de cause. Pire : au 19e siècle, on verra des médecins recommander de brûler et carrément couper le clitoris pour prévenir l’onanisme (la masturbation). Et on sait très bien que des mutilations sexuelles féminines ont encore lieu aux quatre coins du monde. 

La prostate féminine

Comme l’indique Stephanie Haerdle, autrice de Fontaines : une histoire de l’éjaculation féminine de la Chine ancienne à nos jours (Éditions Lux, 2020), la médecine a longtemps été entre les mains des hommes qui ont cherché à répondre à « des attentes et des besoins masculins.» Ainsi, de grands pans de la sexualité féminine ont été tout bonnement éclipsés. Et pas les moindres. En effet, bien des gens ne savent pas que les personnes de sexe féminin ont… une prostate! Et, aussi, qu’elles éjaculent. Pourtant, on connaît l’information depuis belle lurette; plus de 2000 ans, environ. L’autrice explique, entre autres, que l’information a pu se perdre dans certaines traductions faites des ouvrages anciens qui en parlent.

Elle explique aussi que c’est seulement en 2001 que la FICAT (Federative International Committee for Anatomical Terminology) l’inclut dans son Histological Terminology. Pendant longtemps, on dira que ce sont les glandes para-urétrales ou glandes de Skene qui font office de prostate. Mais on sait maintenant qu’il s’agit en fait d’un organe entier qui change de forme selon chaque anatomie. 

Selon Haerdle, c’est au médecin Jaroslav Zaviačič qu’on doit ce constat. Il s’est particulièrement intéressé à cet organe mal compris et mal étudié. Grâce à cela, il a permis de mieux comprendre son fonctionnement et, par extension, celle de l’éjaculation féminine. Mine de rien, avoir ces informations en main est une forme de révolution. Parce que de nombreuses femmes se sont culpabilisées et inquiétées d’avoir peut-être uriné sur leur partenaire, alors qu’il s’agit d’éjaculat. Et que le fait d’avoir une éjaculation est totalement normal. Pourtant, on en parle encore si peu… 

S’informer

En fait, on comprend qu’on commence tout juste à analyser le sexe féminin de façon plus approfondie. Et, cette fois, avec un regard réellement intéressé et moins phallocentré. Il reste certainement 1001 choses à apprendre sur le sujet. On espère seulement que les découvertes actuelles à propos du sexe féminin ne se perdront pas à nouveau. Pour s’assurer que ça n’arrive pas, continuons d’en parler et de poser des questions. Continuons de faire tomber les tabous et, j’ajouterais, de lire sur le sujet! 

Des ouvrages pour mieux connaître le sexe féminin

Et puisque l’on parle de lecture, voici quelques bouquins à lire qui permettront d’approfondir vos connaissances. 

Photo de cottonbro provenant de Pexels

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