Avec la présence plus médiatisée de personnes trans, non binaires, fluide, queer, on sent que cela brasse les idées préconçues sur l’identité et la binarité des genres. Les questions sur le sujet sont donc extrêmement d’actualité. C’est d’ailleurs le thème d’une exposition présentée au Musée de la civilisation à Québec qui s’intitule Unique en son genre*.
L’exposition démontre, entre autres, à quel point nos idées sur la binarité des genres sont arrêtées. Mais on y voit aussi comment elles peuvent se déconstruire facilement en … se basant sur la biologie, l’écologie, l’histoire. Bref, sur la science. Ainsi, ce qui dicte ce qu’est et ce que doit faire une femme versus ce qu’est un homme et comment il doit agir; on réalise bien vite que ce sont des constructions sociales. Et c’est ici qu’entre en ligne de compte le concept dont je vous parle aujourd’hui. C’est notre auditrice Karène Séguin qui nous demande: c’est quoi l’androgynie psychologique?
De Platon à nos jours
L’idée ne date pas d’hier; on retrouve même une référence chez Platon, où il décrit le rôle de l’artiste ainsi :
Le Banquet, Platon
Selon Victoria Russell, autrice du livre The Unsexed Mind And Psychological Androgyny, 1790-1848 (2021), c’est vers la fin du 18e siècle que des radicaux romantiques anglais se sont intéressé.e.s à ce concept. En effet, ils croyaient aux effets de l’environnement et au conditionnement social sur le développement psychosexuel.
Plusieurs, nous dit-elle, voyaient l’esprit humain comme « non sexué ; un élément fluide, infiniment varié et allant au-delà de la catégorisation et ségrégation ». Mais c’est à la psychologue Sandra L. Bem, en 1974, qu’on doit le BSRI (Bem Sex-Role Inventory). Il s’agit d’un outil pour évaluer la féminité et la masculinité, dans le but de démontrer la validité et les avantages de l’androgynie psychologique.
Une question de balance
L’androgynie psychologique, c’est la capacité à faire montre de caractéristiques et d’attitudes que l’on attribue autant au féminin qu’au masculin. Par exemple, de façon très stéréotypée, on dira souvent qu’une femme est plus émotive et un homme plus posé. Ou, encore, qu’un homme est naturellement porté vers le sexe, tandis que la femme beaucoup moins. Évidemment, on sait maintenant que cela n’a rien à voir avec le genre. Une personne qui fait preuve d’androgynie psychologique se trouvera à mi-chemin sur un continuum entre le féminin et le masculin.
On peut imaginer une balance. D’un côté, le féminin, de l’autre, le masculin. Si l’on penche complètement vers un côté ou l’autre, cela amène un débalancement et il n’y a pas d’équilibre possible. Si l’on se situe au milieu, en mettant un poids équivalent de chaque côté, on trouve un équilibre.
Une sexualité plus satisfaisante
Concrètement, ça donne quoi? Eh bien, plusieurs choses. D’abord, faire preuve d’androgynie psychologique, c’est la capacité à avoir une fluidité dans ses actions et ses réflexions. Chez The Conversation, on explique que cela permet d’avoir une plus grande « flexibilité cognitive ». C’est-à-dire de pouvoir facilement passer d’une tâche ou d’une pensée à l’autre. On l’associe aussi positivement à « la compétence sociale et la santé mentale ». Ces personnes ont une plus grande capacité à affronter le stress et l’anxiété. Selon une étude de Rosensweig & Dailey (1989), les couples présentant des comportements et attitudes androgynes dans la sexualité ont une plus grande satisfaction sexuelle. Ils s’ajustent aussi plus aisément aux fluctuations du couple.
Une boîte à outils
Dans une récente étude, réalisée sur près de 1000 élèves du secondaire de 12 à 17 ans à Vienne (Autriche), on a pu voir des résultats intéressants. Comme les jeunes sont très influencé.e.s par les rôles de genre dès un tout jeune âge, particulièrement à l’école, l’équipe a analysé le concept de soi face aux rôles de genre dans un contexte scolaire. Les jeunes ont été évalué.e.s sur cinq domaines qui se cristallisent souvent pendant les études. Il y a l’engagement, la persévérance, l’optimisme, la connectivité (capacité à avoir des relations amicales et des amitiés satisfaisantes et du support) et le bonheur.
Les élèves ont été divisé.e.s selon les rôles de genre masculin, féminin, androgyne ou indifférencié. Les résultats sont parlants. Les élèves ayant eu les meilleurs résultats dans les cinq sphères sont celles et ceux qui font preuve d’androgynie psychologique. Ce trait devient une boîte à outils plus variée et diversifiée pour répondre aux attentes et exigences de la vie scolaire, sociale, relationnelle, etc.
À LIRE ÉGALEMENT : Désir sexuel : les hommes et les femmes sont-ielles différent.e.s?
Des cerveaux moins genrés qu’on ne le croit
Plusieurs de nos auditeurices se rappelleront peut-être du livre Les hommes viennent de mars, les femmes viennent de Vénus (1992) de John Gray. Ce best-seller, critiqué par la suite, a contribué à créer un grand clivage entre les hommes et les femmes. Il a convaincu beaucoup de gens qu’il y a un cerveau masculin et un cerveau féminin. En plus, la science ne s’entend pas encore tout à fait sur les similitudes et les différences entre les cerveaux, selon le sexe ou le genre.
En 2021, une équipe de chercheuses et chercheurs de l’Université de Cambridge s‘est penchée sur la question de la différenciation des cerveaux. Celle-ci a conduit une étude sur 9620 personnes, dont 4495 personnes de sexe masculin et 5125 de sexe féminin. Le but : savoir s’il y a une division claire entre féminin et masculin dans le cerveau ou s’il existe plutôt une forme d’androgynie. Pour ce faire, ils ont créé « un continuum cérébral à l’aide d’un algorithme d’apprentissage automatique et des données de neuroimagerie. »
Les résultats, publiés dans la revue Cerebral Cortex, démontrent que 25% des gens s’identifient comme masculins, 25% comme féminins. Et les 50% restants sont androgynes. Mais, fait le plus intéressant, ces derniers présentent une meilleure santé mentale que ceux qui se trouvent aux extrémités du continuum. On souligne toutefois que, pour obtenir des données encore plus probantes, il faudra avoir accès à des images cérébrales à différentes étapes de la vie. Ne serait-ce que pour comprendre, entre autres, l’évolution de la personne dans le temps et les facteurs environnementaux et sociaux qui peuvent l’influencer.
Des avantages insoupçonnés
Si l’on résume, on peut dire que le concept d’androgynie psychologique permet de naviguer plus facilement à travers l’existence. Il crée une fluidité dans les interactions, une meilleure capacité d’adaptation et constitue un facteur de protection puisqu’on l’associe à une meilleure santé mentale. Cela amène aussi plus de résilience et de stratégies pour affronter différentes expériences de vie, qu’elles soient positives ou négatives.
Finalement, selon le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi (se prononce muh·hay·lee chik·sent·mee·hai·ee), également auteur du livre Creativity: The Psychology of Discovery and Invention (2013), l’androgynie psychologique est également un élément-clé de la créativité. En effet, ce dernier explique que les personnes qui présentent ce trait ont la capacité de « doubler leur répertoire de ressources et d’interagir avec le monde de multiples façons ». En somme, c’est un avantage, une richesse et aussi une façon d’échapper aux stéréotypes de genre et à la rigidité des rôles sociaux.
Il y a évidemment des visions critiques de ce concept. Par exemple, l’androgynie psychologique divise, de façon très évidente, entre masculin et féminin au départ, malgré l’aspect du continuum. Donc, où se situe une personne agenre, par exemple? Imparfait, il présente tout de même des caractéristiques pertinentes qui permettent de réfléchir aux notions d’identité et de genre, éléments qui ont toujours et continuent d’amener des questions complexes, mais ô combien importantes.
*En toute transparence, je dois dire que j’ai travaillé sur celle-ci comme sexologue consultante.