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Pourquoi les gens font une fixation sur les vedettes ?

Une chronique bicéphale, co-écrite avec Mélanie Milletteprofesseure agrégée au Département de communication sociale et publique de l’UQAM et membre régulière du Laboratoire sur la communication et le numérique (LabCMO, UQAM et Université Laval).

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« Jennifer Lopez sort la “revenge dress” ». « Taylor Swift aperçue au US Open avec son copain. » « Nicola Coughlan aurait un amoureux de 13 ans son cadet ! ». Voilà des titres qui font la manchette ces jours-ci. Ils nous rappellent à quel point les vedettes occupent une place importante dans nos vies et nos sociétés. Non seulement cela, mais aussi que leurs histoires d’amour font l’objet de spéculations et de tergiversations incessantes. Pourquoi donc ? 

Selon Paul Harrison, expert du comportement et de la culture des consommateurices, les vedettes ont remplacé les figures d’autorité qu’étaient autrefois les rois, les reines ainsi que les figures religieuses. 

Des contes de fées

On se rabat sur ces personnalités pour y trouver une source d’inspiration et, surtout, de rêves et de fantasmes. Ces personnes semblent avoir des vies qui ressemblent à des contes de fées. Nous avons accès à des moments « glamour », excitants, voire exceptionnels qui se passent dans leur existence. Ça donne envie, ça permet, en quelque sorte, de vivre une vie par procuration. Par exemple, l’histoire d’amour entre Jennifer Lopez et Ben Affleck représente une forme d’idéal à atteindre.

Car, malgré toutes les embûches, tous les revers subis, ils sont, croit-on, « faits l’un pour l’autre ». Cela renforce certains mythes entourant les relations amoureuses. C’est l’espoir d’avoir, pour soi-même, une aussi belle histoire d’amour. Et s’il y a du drame, cela rend les stars plus accessibles, plus « vraies ». Jennifer Lopez a d’ailleurs fait un film entier, This Is Me…Now, dédié à sa quête de l’amour (très mauvais paraît-il). 

Pas étonnant donc que les gens se mettent à obséder sur des histoires d’amour du genre. Même si celles-ci demeurent en grande partie fictives. Car même si Bennifer a une relation dans la « vraie vie », ce que l’on projette sur le couple est largement nourri de nos espoirs et fantasmes. La preuve étant que les deux vedettes sont en pleine instance de divorce, moins de deux ans après leur mariage. Le couple parfait était donc loin de l’être en réalité… 

Edgar Morin, précurseur dans la recherche sur les stars 

Le phénomène des stars a été davantage un sujet de recherches scientifiques dans les années 1960 à 1980. On s’est notamment intéressé au rapport avec le star-système américain. Pour aborder ces questions, on peut se référer à un l’ouvrage précurseur du sociologue Edgar Morin: Les Stars (Seuil, 1957). Ce dernier est toujours en vie et publie encore, à l’âge de 103 ans! Au fil de sa carrière, il a souvent œuvré sur des objets de recherche jugés comme illégitimes et peu sérieux. Comme celui des vedettes et des stars de cinéma. 

Morin fait son entrée au prestigieux CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de Paris dans les années 1950. Il se met à étudier le cinéma. Lors de ces recherches, Morin explore l’imaginaire cinématographique ainsi que les leviers d’identification présents chez les spectateurs-trices. En d’autres mots, il essaie de comprendre comment le fait de regarder des films contribue à nourrir notre imaginaire (par des fantaisies, fantasmes et rêves). Et que, en même temps, il sert à bâtir notre propre identité. Par exemple en s’identifiant à la quête d’un héros ou d’une héroïne. Morin va nommer ce principe la « projection-identification ». Les gens qui connaissent un peu la psychologie ou la psychanalyse remarqueront que ce concept a une certaine parenté avec la notion « d’identification projective ». 

Des clés de compréhension pour analyser les fans

Ces concepts sont des clés pour comprendre pourquoi certaines personnes deviennent subjuguées, passionnées et engagées dans des relations à sens unique avec des vedettes. Car la « projection-identification » désigne l’action – souvent inconsciente – de projeter sur un objet des caractéristiques que l’on voit en soi-même pour s’y reconnaître. Autrement dit, regarder les stars, voir leur films et écouter leurs chansons activent chez certaines personnes un double mouvement. Elles se projettent dans un univers imaginaire qui leur plaît, qui leur parle, qui résonne avec leurs goûts et EN MÊME TEMPS, se voient et se reconnaissent dans le personnage incarnée par la star dans le film. Quand ce phénomène a lieu, la personne est profondément interpellée par le film en question, le personnage et la vedette qui l’incarne. Et cela crée du lien. 

Ces personnes peuvent développer un intérêt profond et un sentiment d’appartenance à l’endroit de la personne célèbre. Ce qui fait écho aux recherches en études de fans. Ces travaux se concentrent sur la relation complexe qui se développe entre une personnalité publique et un.e fan. Cela passe souvent par la consommation de différents contenus médiatiques. 

Une réception sans fin

Parce qu’il faut se rappeler que les fans, selon la chercheuse française Mélanie Bourdaa qui les étudie, sont caractérisés par ce que l’on appelle une « réception sans fin ». La réception (autrement l’écoute) d’une émission de télé, d’un film ou d’un disque se prolonge indéfiniment. Que ce soit en y réfléchissant, en discutant avec des amis, en achetant un t-shirt de l’artiste ou en écrivant des fanfictions.

Les contenus médiatiques vont devenir importants pour ces personnes qui vont chercher à visionner des documentaires sur leurs artistes préférés, à lire leur biographie, à en connaître davantage sur l’actrice ou le chanteur qui les passionnent. Et c’est là que les médias sociaux peuvent devenir une mine d’informations. Notamment parce que les fans et les fandoms, c’est-à-dire les communautés de fans, y mettent en circulation des tas de contenus complémentaires, des réflexions, des extraits de films et des analyses amateures de clips vidéos, etc. Donc, pour peu que l’on sache comment utiliser YouTube, Reddit, TikTok ou Instagram, on va rapidement trouver des contenus associés à l’artiste qui nous intéresse.  Et plus ces vedettes sont connues, plus il y a de chances de tomber sur des informations diversifiées qui circulent à leur sujet. Ce qui inclut, malheureusement, des détails parfois très intrusifs sur leur vie privée. 

L’importance des plateformes sociales 

D’ailleurs, l’utilisation des médias sociaux par plusieurs vedettes internationales nourrit les fandoms. Pensons à Jennifer Garner qui publie plusieurs fois par semaine. Elle montre ses séances d’entraînement sportif, ce qu’elle cuisine ou encore ce qui occupe sa famille. En se filmant ainsi, l’actrice vient mettre en circulation sur Internet un corpus d’images d’elle, dans son contexte quotidien. Cela vient compléter et enrichir les éléments médiatiques qui circulent à son sujet, tels des extraits de télésérie ou des entrevues données par le passé. 

Évidemment, cela plaît beaucoup aux fans. On y voit la star sans artifice (ou moins que d’habitude) et cela la rend accessible. Ce qui vient pousser le levier d’identification aux vedettes dont parlait Edgar Morin. Par contre, cette fois-ci la star n’est plus un personnage de film. Elle est elle-même, dans sa maison. Et c’est là que peuvent advenir certaines problématiques. Car plutôt que nourrir la « projection-identification » avec des personnages fictifs et le narratif d’un film, c’est la véritable personne qui devient le lieu de projection et d’identification. Ce qui est très rentable pour la marque et le branding des vedettes.  Elles consolident et maintiennent ainsi des liens avec une base de fans qui se fidélise au fil des publications. Même si cela entraîne parfois des dérives… 

Des interactions dynamiques

Évidemment, les médias populaires ont énormément contribué au succès d’un couple comme Bennifer, par exemple. Mais les plateformes sociales aussi. Avant leur arrivée, les relations avec les vedettes étaient plutôt distantes. Maintenant, ces réseaux permettent des interactions qui ne sont plus « statiques » ou unidimensionnelles avec les personnalités publiques, mais bien « dynamiques ». C’est ce qu’explique une étude de 2022 intitulée Return of Fandom in the Digital Age With the Rise of Social Media. On y indique que les recherches actuelles sur les groupes de fans s’intéressent à ces phénomènes comme « une partie intégrante de notre vie de tous les jours ». Car celles-ci contribunt à forger notre monde moderne. 

Les plateformes sociales sont effectivement au cœur de nos vies; on y déverse tant ce qui nous enchante que ce qui nous déplaît. On sait déjà que, dans nos relations amoureuses, sexuelles et/ou affectives, on peut énormément spéculer sur un emoji envoyé, une story aimée, un cœur laissé sur une publication Instagram par une personne à qui l’on s’intéresse. Avec l’accès presque illimité à l’intimité et au quotidien des personnalités publiques qui nous font tripper, le même processus s’applique. Pour mieux comprendre, prenons le cas #Polin ou #Lukola.  

Le cas #Polin ou #Lukola 

Bennifer n’a pas été le seul combo amoureux qui a subi les analyses scrupuleuses (et obsessives) des fans. On n’a qu’à penser à la série Bridgerton. Le couple vedette de la troisième saison a suscité un engouement sans précédent. Les gens sont tombés en adoration devant ce couple de type « friends to lovers ». Et cela, même si la saison précédente avait proposé un assez chaud duo « ennemis to lovers » qui avait fait jaser. Le couple de l’heure donc, rebaptisé #Polin (contraction des prénoms Penelope et Colin), est incarné par les acteurs anglais Nicola Coughlan et Luke Newton.

Et, ce qui est intéressant dans ce cas, c’est que la réalité a dépassé la fiction. Les deux acteurs sont devenus ami.e.s dans la vraie vie. Cela a contribué à l’aisance naturelle du duo tant à l’écran… que dans la vie de tous les jours. Et, bien sûr, Netflix et tous les médias ont misé sur cette chimie indéniable pendant la tournée de promotion. Ce qui a mis le feu aux poudres. On est alors passé d’un espoir romantique envers les personnages de Penelope et Colin à une réelle obsession pour Nicola et Luke eux-mêmes. De là est né le mot-clic #Lukola. 

Les fans se sont mis à observer avec minutie toutes les entrevues et apparitions publiques des deux jeunes acteurs. Sans oublier chacune de leur publication sur les plateformes sociales. Tout ceci dans l’espoir d’y déceler un indice qui permet de confirmer leur amour. Nicola fait un selfie avec des lunettes fumées ? On agrandit la photo pour voir si c’est Luke qui l’a prise et qu’on voit peut-être apparaître dans le reflet. Les J’aime que s’offrent l’un.e et l’autre sont scrutés à la loupe. On analyse leurs réponses d’entrevues, mais on va aussi jusqu’à observer le mouvement des pupilles de chacun.e. On veut décoder LE signe qui indique que leur amour n’est pas que fiction. Tant et si bien qu’une levée de boucliers a pu être observée contre la nouvelle copine de Luke. Copine qui a le seul défaut… de ne pas être Nicola. Bref, ça va loin!

Les stars, du mythe à la réalité 

Si l’on revient au livre Les Stars d’Edgar Morin, il est intéressant de voir que ses réflexions, pourtant écrites dans les années 1950, sont toujours pertinentes pour comprendre ce que l’on observe aujourd’hui. À l’époque, pour bien saisir le phénomène des stars de cinéma comme Marilyn Monroe, Morin explique qu’il y a deux dimensions présentes : la mythologie et l’aspect économique. Ceux-ci ont complètement changé aujourd’hui. 

Dans les années 50 et jusqu’aux années 1990, il était probablement plus facile de construire une image mythique de la star comme une persona distincte de la personne comme telle (ex. Marylin Monroe VS Norma Jeane Mortenson). Maintenant, il y a les médias sociaux et la presse à potins. Toutefois, il faut se rappeler qu’historiquement, la presse people – importée du Royaume-Uni – arrive pour de bon en Amérique du Nord dans les années 1990. Cette presse à potins, qui carbure à la vie personnelle des vedettes, ouvre une fenêtre sur le « vrai » visage des stars. Ou, à tout le moins, à des contenus où les stars sont des personnes ordinaires vivant des maladies, des morts, des mariages et des divorces. Comme tout le monde, bref. 

Une distance de moins en moins grande

Mais avant cette époque, les stars avaient quelque chose de sacré, de mythique. Ceci notamment à cause de la distance entre elles et nous qui existait. Celle-ci faisait en sorte qu’on pouvait les voir comme des icônes sacrées ou comme une catégorie supérieure d’humains. Des personnes élevées au-dessus de la masse par leurs talents particuliers, leur grâce ou leur charisme hors du commun. Vue de l’extérieur, les stars avaient accès à des lieux et menaient des vies qui était peu accessible pour la plupart d’entre nous. Des robes griffées, des bijoux luxueux et des hôtels hors de prix, par exemple. Il faut aussi dire que la majorité des images qui circulaient sur les stars dans les années 1950, et ce jusque dans les années 1980, provenaient de films, de contenus publicitaires ou journalistiques associés à des films, téléséries ou encore des albums musicaux. Il s’agissait donc d’images professionnelles, travaillées, où les vedettes étaient magnifiées, radieuses, et surtout, on duty

Donc la vie « normale » des vedettes était peu accessible! Cela crée un effet d’inaccessibilité et une distance et pour le public. Distance nécessaire pour que la vedette soit mythique. Prenons Marilyn Monroe, avec son talent et son charisme. Cependant, Morin nous explique que les rôles joués par les vedettes au cinéma contribuent à créer le mythe. Marylin, sa beauté, mais aussi ses rôles de femmes fatales au cinéma vont nourrir notre imaginaire. Ils vont contribuer à ce que, dans nos têtes, toutes ces images d’elle et de ses personnages fusionnent en une sorte d’objet divin, déifié, magnifique et inatteignable. 

Une lucrative machine à stars

Il faut aussi comprendre qu’à l’époque, la fabrique des stars est savamment organisée par les premiers grands studios hollywoodiens. C’est que cela c’est extrêmement payant. Tant sur le plan du nombre de billets de cinéma vendus ou encore de disques, dans le cas d’une vedette musicale. Les entreprises qui bénéficient de l’image des stars savent rentabiliser tout cela. Elles utilisent judicieusement le mythe créé autour d’une actrice ou d’un acteur de leur écurie. Ce qui mène d’ailleurs à des carrières où des acteurs-trices se retrouvent à répétition dans un rôle similaire, d’un film à l’autre. 

Morin fait d’ailleurs remarquer que, dès les années 1950, lorsqu’une star est façonnée par le star-système américain, elle s’accompagne généralement de ce qu’il nomme des « fanatiques » qui vont former un «culte ». Ce que l’on nommera plus tard, des fandoms. Donc très tôt dans l’industrie médiatique, les stars représentent un puissant objet d’investissement pour les gens. Et le mot  « objet » est utilisé à dessein. Le processus de création d’une star implique malheureusement que la personne réelle devient, en partie, un objet façonné par les industries médiatiques. De nos jours, elle est sa propre marque ou son propre branding

Et même si, actuellement, la dimension du mythe change de forme, elle semble persister. Quant à distance et l’inaccessibilité, elles, elles se réduisent.  

Des vies disséquées 

Plusieurs vedettes en ce moment partagent leur vie sur les médias sociaux ou voient malgré elles leurs vie privée disséquée sur ces plateformes. Or, cela détruit le mythe. L’aspect inatteignable et merveilleux se défait, démontrant que même les plus grandes vedettes ont une vie ordinaire. Cependant, on peut remarquer deux choses : 

  • D’abord, une nouvelle forme de mythe se crée, très collée à la vie réelle de la personne. L’imaginaire autrefois proposé par les films et les personnages – à coup de grandes quêtes et paillettes – est aujourd’hui remplacé par un imaginaire de la réalité. Celui-ci est fourni par les maisons et châteaux que possède la vedette, son jet privé et ses voyages en yacht au large de la côte d’Amalfi. Sans oublier ses relations intimes véridiques ou supposées, avec tel ou tel joueur de football. Ou encore sa romance avec un collègue acteur; 
  • Deuxièmement, cette exposition voulue ou subie de sa vie intime fait qu’e la vedette qu’elle n’est plus complètement inaccessible. On sait même parfois en temps réel à quel restaurant elle mange… 

De possibles dérives

Cela explique plusieurs dérives actuelles. Des gens vont non seulement faire des fixations sur des vedettes, mais carrément s’autoriser à les suivre, à les filmer à leur insu et à diffuser ces vidéos sur le Web. Comme si elles n’étaient pas de vraies personnes, mais des animaux dans un zoo!  C’est ici qu’on doit se rappeler que ces processus de projection-identification – nourris de l’imaginaire, mais aussi des stratégies de marketing autour des vedettes –  contribuent à un rapport paradoxal entre le public et les personnalités publiques. 

Sauf dans le cas de gens qui ont des pathologies – ce qui existe malheureusement; plusieurs célébrités sont victimes de menaces de mort et d’attentats – personne ne dit en se levant le matin « Tiens, je vais agresser une vedette aujourd’hui! ». Sauf que cela arrive et c’est cette objectivation, cet effet « animal de zoo » qui est en cause. Nous devons donc collectivement nous rappeler ceci: les personnes qui ont des vies publiques – soit par choix ou une conséquence de leur profession – ont le droit à la vie privée.

On doit les traiter comme on voudrait être traité, avec gentillesse et politesse. D’ailleurs, plusieurs vedettes québécoises et canadiennes disent en entrevue que les gens ici sont particulièrement respectueux. Néanmoins, il est bon de se rappeler que la vedette a le droit à sa bulle, à son intimité. Elle a aussi le droit de refuser de se faire filmer, de se faire toucher ou encore de se faire suivre, comme dans le cas de Chappell Roan. 

Être « delulu »

Si un grand nombre de jeunes gens se sont investis à ce point envers Chappell Roan ou, encore, #Polin ou #Lukola, c’est aussi symptomatique de la société dans laquelle on vit. Les gens ne vont pas bien, l’éco-anxiété nous respire dans le cou, les conflits mondiaux se multiplient, les décideurs politiques sont plus souvent qu’autrement décevants, les prises de position contre les personnes LGBTQ+ sont quotidiennes et l’avenir est incertain. Les gens ont besoin de plonger la tête dans le rêve. C’est une forme d’évitement de la réalité.

Les jeunes utilisent d’ailleurs beaucoup l’expression « être delulu » (pour delusional). C’est pour affirmer une forme de délire collectif inoffensif qui semble nécessaire à la survie. L’expression complète est : Being delulu is the solulu. C’est-à-dire « être délirant.e, c’est la solution ». Avec les nombreuses déceptions qu’apportent le dating, l’envie de se détacher de la hook-up culture (culture de la sexualité sans lendemain) et un certain désintérêt envers la sexualité (on appelle les Gen Z la « no sex generation»), cet état d’esprit (être delulu) permet de s’évader. Mais aussi d’imaginer un monde meilleur où les fins heureuses sont possibles. 

Is it the solulu ?

D’ailleurs, les fans de Taylor Swift utilisent abondamment l’expression pour qualifier leurs analyses des faits et gestes de cette dernière. C’est que le fandom espère ces jours-ci l’annonce du ré-enregistrement de l’album Reputation (Taylor’s Version). Et dès que la chanteuse porte du rouge, du noir ou du vert, ou encore un motif de serpent – éléments associés à cet album initialement lancé en 2016 – ils ont l’espoir d’y voir un signe. La chanteuse a ré-enregistré l’album pour reprendre la propriété sur ses chansons, car son catalogue a été vendu contre son gré par son ancienne étiquette de disque. Ces fans sont tout à fait conscient.e.s du caractère un peu fou de certaines de leurs analyses. Être « delulu » devient une sorte de pratique collective dans le fandom, où chacun y va de sa « théorie » pour prédire la date de lancement de l’album. 

L’expression est d’ailleurs souvent comparée à l’idée de « manifester quelque chose »; si l’on veut vraiment une chose, on va l’obtenir. La génération Z explore beaucoup l’idée de self-care (bien-être) via ce mantra. Il indique que, même si cela semble inatteignable, tu le peux quand même. La suite logique à « Fake it until you make it » (fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives), en quelque sorte. En psychologie sociale, on parle d’effet Pygmalion ou de prophéties autoréalisatrices. C’est-à-dire qu’une croyance peut devenir réalité. Ce qui peut avoir des bons côtés, si cela permet de travailler la confiance en soi, par exemple. Cela dit, ce type de pensée peut fonctionner si l’objectif est réaliste…ce qui n’est pas toujours le cas. Même si l’on obsède sur #Lukola et qu’on veut à tout prix qu’ils finissent ensemble, on risque d’être déçu.e.s… 

Au-delà des normes 

Les exemples précédents demeurent ancrés dans des carcans hétéronormatifs et cisnormatifs. Par contre, on constate que les communautés de fans peuvent contribuer au développement identitaire des jeunes issus de la diversité sexuelle et de genre. Dans une étude de 2019, effectuée auprès de 3665 jeunes du Canada et des États-Unis faisant partie de divers groupes de fans, on a pu dégager six thèmes majeurs qui permettent de comprendre ce que ces jeunes peuvent y trouver : 

  1. Découverte et réalisation : les jeunes trouvent des exemples et modèles de diverses identités/orientations sexuelles. Cela leur permet de connaître ce qui existe et, dans certains cas, de s’y reconnaître; 
  2. Exploration et expérimentation : iels peuvent explorer leur propre identité, leurs envies, leurs désirs. Iels peuvent aussi voir ce qui fonctionne ou pas pour elleux;
  3. Sécurité et anonymat : iels rapportent qu’iels sentent moins de jugement et qu’iels peuvent exister en toute sécurité; 
  4. Validation et normalisation : iels se sentent validés et leur identité/orientation sexuelle est normalisée; 
  5. Authenticité et auto-acceptance : le contexte leur permet d’être entièrement elleux-mêmes. De ce fait, d’être en accord avec sa propre identité et de voir sa propre valeur; 
  6. Partage d’identité : le fait d’être en confiance et de se sentir en sécurité leur permet de dévoiler plus facilement leur identité/orientation sexuelle. 

Sans oublier, évidemment, l’attrait de la collectivité (on est des êtres sociaux!), les intérêts communs et le sentiment d’appartenance. 

D’ailleurs, si les gens souhaitent en savoir plus sur les fans et le phénomène de la célébrité, dans une perspective sociologique et anthropologique, ce sera un plaisir d’aller puiser dans le bassin grandissant des recherches scientifiques en études de fans et en étude de la célébrité pour continuer la réflexion. 

Sources :

Bourdaa, M. (2021). Les Fans : Publics actifs et engagés. CF.

Morin, E. (1957). Les Stars. Seuil.

Photo de une : Paul Deetman

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