Une auditrice pose la question suivante :
La construction sociale autour de la sexualité hétérosexuelle ne fait-elle pas en sorte que le sexe est bien plus intéressant pour les hommes, car il est plus centré sur leurs besoins?
La première réponse, c’est qu’il est difficile de dire avec certitude si un genre ou l’autre a plus de plaisir. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que le plaisir est une notion relative et subjective qui va dépendre de nombreux facteurs comme :
- le bien-être sexuel;
- la satisfaction sexuelle;
- l’état de santé;
- les croyances liées à la sexualité;
- l’aisance ou non avec son corps;
- la confiance en soi;
- l’estime de soi, etc.
Sans oublier qu’il y a plus de genres que le féminin et le masculin. Il y a aussi une diversité d’organes génitaux qui sortent des standards connus que sont le pénis et le vagin. Je parlerai d’ailleurs ici principalement de femmes et d’hommes cisgenres dans le cadre d’une sexualité hétérosexuelle.
Cela dit, on peut tout de même se pencher sur quelques aspects de la sexualité pour comprendre la façon dont est vécu le plaisir sexuel chez les hommes et les femmes. Deux récentes études en particulier amènent un éclairage intéressant sur la question : À la recherche du plaisir : une approche biopsychosociale sur le plaisir sexuel et le genre (traduction libre, 2021) et La nature relationnelle du genre, la persistance des scripts sexuels hétéronormatifs et leur impact sur le plaisir sexuel (traduction libre, 2023).
Du point de vue physiologique
Si l’on compare les organes génitaux femelles et mâles, on peut déjà établir que le gland du pénis comprend entre 4000 et 6000 terminaisons nerveuses. Le clitoris en aurait entre 8000 et 10 000. On peut donc conclure que les femmes ont plus de possibilités sensorielles et orgasmiques. Mais, minute papillon! Comme expliqué dans la revue Science & Vie, le gland a une surface externe plus grande, avec laquelle le contact est facilité. Le clitoris, quant à lui, présente une surface réduite, car l’essentiel de son anatomie est situé à l’intérieur du corps. Aussi; n’oublions pas que l’anus est une zone érogène. Même si l’on n’a pas de chiffre exact, on sait qu’il contient énormément de terminaisons nerveuses. Plus que le vagin. Donc, les hommes et femmes sont physiquement capables d’autant de plaisir.
Du point de vue orgasmique
Dans les relations hétéronormatives, les pratiques sexuelles sont souvent basées sur la pénétration. Les hommes sortent grands gagnants de ce qui est souvent perçu comme une course. C’est ce qu’on nomme le fossé orgasmique. 95% des hommes vont avoir un orgasme lors d’une relation sexuelle avec une partenaire. Le chiffre se situe à 65% pour les femmes. Et le problème n’est pas que les les femmes ont moins de capacité à atteindre l’orgasme. Eh non! Celles-ci ont trois plus de chance d’atteindre l’orgasme avec une partenaire féminine.
Aussi, les femmes ont une période réfractaire – la pause nécessaire après un orgasme – plus courte, parfois même absente. Cela leur permet d’avoir plusieurs orgasmes rapprochés, tandis que celles des hommes est plus longue et augmente en vieillissant.
Du point de vue génital
Les femmes ont beaucoup plus de douleurs et d’inconforts ressentis lors de relations sexuelles pénétratives. De plus, elles vont souvent continuer à avoir ce type de pratique sexuelle, et ce, malgré la douleur. Pour plusieurs d’entre elles, la peur d’être rejetée par le partenaire est un incitatif à poursuivre malgré l’inconfort. Il y a aussi un renforcement de l’idée qu’une sexualité pénétrative est vue comme « naturelle ». Et cela a plus de poids que le fait d’avoir mal. Ainsi, les chances qu’elles aient des relations sexuelles moins satisfaisantes et moins agréables sont élevées.
L’apparence de la vulve et du vagin a également une grande importance. Les femmes doivent répondre à des injonctions et modes qui impactent leur façon de percevoir leur propre anatomie. Que ce soit pour correspondre au sexe lisse et glabre – un « idéal » souvent attendu – ou encore surpasser l’idée que la vulve et le vagin sont sales/odorants. Sans oublier le clitoris, le (trop souvent) grand laissé-pour-compte des stimulations sexuelles.
Les hommes ne sont toutefois pas en reste. Ils vivent aussi avec des attentes souvent irréalistes envers l’apparence du pénis (gros et long, si possible). Ou, encore, face aux capacités érectiles (sur commande et dans la durée).
Du point de vue socioculturel
Évidemment, on ne peut mettre de côté l’influence des scripts sexuels installés dans la société et qui ont un poids sur le plaisir sexuel. Par exemple, l’idée perdure que les femmes ont moins besoin de sexualité que les hommes. Et c’est faux; il n’y a pas de justification biologique derrière l’idée que les hommes ont plus de désir et de besoins sexuels. Ce sont plutôt des construits sexuels instaurés pour des raisons variées comme, par exemple, la nécessité d’engendrer une progéniture. Élément qui demeure, encore aujourd’hui et chez de nombreuses personnes, un signe de virilité, de réussite sociale.
On considère encore largement la sexualité féminine comme passive et celle, masculine, comme active. Les femmes sont alors plus souvent perçues comme des objets de désir plutôt que des sujets de désir. Cette croyance catégorise les hommes hétérosexuels comme pénétrants et non pénétrés, ce qui peut les empêcher d’accéder à des plaisirs plus vastes, comme l’exploration du point P (prostate).
Quand le plaisir va au-delà des différences entre hommes et femmes
Dans l’étude La nature relationnelle du genre, la persistance des scripts sexuels hétéronormatifs et leur impact sur le plaisir sexuel, incluantt un plus large éventail d’identités et d’orientations sexuelles, on voit que les normes hétérocisnormatives ont une influence majeure sur le plaisir. En effet, même chez des personnes trans, non-binaires et intersexes, on reproduit les codes sexuels liées à la masculinité (virilité, personne qui donne) et la féminité (passivité, personne qui reçoit). Ce qui peut réduire les possibilités d’explorations sexuelles.
On indique aussi qu’insister sur les différences entre les hommes et les femmes, c’est mettre des bâtons dans les roues du plaisir. La recherche y voit trois effets :
- Le fossé orgasmique se retrouve aussi dans les configurations relationnelles incluant des personnes trans, non-binaires et intersexes. Par exemple, la personne avec un pénis va souvent agir comme pénétrante. En plus, la sexualité se termine aussi sur l’éjaculation. Conséquemment, la personne avec un vagin à moins de chance d’avoir un orgasme;
- La communication est un élément clé pour favoriser l’orgasme et permet également d’ébranler les attentes en matière de genre. Lorsqu’il y a communication des besoins et des balises, les conséquences se ressentent positivement sur l’atteinte du plaisir sexuel. Tandis que les personnes qui communiquent moins ont tendance à se fier aux scripts hétéronormatifs connus. La conséquence est d’avoir l’impression de jouer un rôle, sans oublier que cela ouvre la porte à plus de violence sexuelle;
- Même si les configurations relationnelles incluent des personnes qui ne sont pas cisgenres, les rôles genrés occupent une place importante, car ils font partie de la socialisation genrée apprise par tous.tes. Avec, comme résultat, la réplique de dualités réductrices comme domination/soumission, actif/passif, top/bottom, masculin/féminin, etc.
Un plaisir brimé chez… les hommes et les femmes
En somme, la sexualité demeure dans un carcan relativement étanche qui inhibe les possibilités sexuelles. Et, ultimement, les nombreuses facettes du plaisir. À l’auditrice, on pourrait répondre : la sexualité, dans sa forme hétéronormée actuelle, offre peu de latitude aux hommes et aux femmes. Et ceci fait en sorte que le plaisir sexuel demeure restreint, d’un côté comme de l’autre.