Une chronique pour Moteur de recherche, dans laquelle j’aborde la question de la pénétration dans la sexualité.
La réponse est très simple: oui. Oui, on peut tout à fait avoir une sexualité en dehors de la pénétration. Et, c’est important de le souligner; pas une sexualité «correcte» ou «pas pire». Pas une sexualité «de moindre qualité». Une sexualité satisfaisante et excitante. Je le souligne, parce qu’on a tendance à croire que, sans pénétration, c’est moche ou qu’il manque quelque chose. Pire, la relation sexuelle ne serait pas complète. Pourtant, rien n’est plus faux.
Mais d’où vient cette injonction sexuelle?
Les raisons derrière la pénétration
Pendant longtemps, la masturbation est très mal vue. Entre autres, parce qu’on a pensé que le sperme masculin était gaspillé au lieu de servir à enfanter. C’est d’ailleurs de là que vient le mythe d’Onan, pour onanisme. Ce personnage mythique, fils de Judas, a été mandaté par son père pour remplacer son frère décédé. Ce dernier n’a pas de descendance et Onan doit s’unir à sa belle-sœur. Il accepte, mais prend sa semence et la détruit. On aura compris ici qu’on parle de coït interrompu, bien qu’on l’associera par la suite à la masturbation. L’idée d’une semence gaspillée fera son chemin et on acceptera la sexualité, si elle est procréative.
On fait un grand bond dans le temps. Les enseignements du psychanalyste Freud seront aussi fort populaires. Pour ce dernier, la sexualité féminine doit passer par l’envie du pénis, car la femme doit avoir un orgasme vaginal. L’orgasme clitoridien est, pour lui, infantile et non mature. La sexualité féminine selon lui, n’existe véritablement que s’il y a pénétration. Fast-forward vers les années 60, alors que le couple de sexologues Masters et Johnson va réfuter cette théorie. Selon leurs recherches, l’orgasme féminin, qu’il soit vaginal ou clitoridien (on fait encore cette distinction à l’époque), provient du clitoris.
Mais l’idée d’une stimulation par la pénétration demeure quand même ancrée dans les moeurs. C’est le rapport Hite, par Shere Hite – décédée la semaine dernière – et publié en 1976, qui aura l’effet d’une bombe avec son étude exhaustive sur la sexualité féminine. Pour bien des gens, c’est la première fois qu’on aborde le fait que les personnes de sexe féminin peuvent tout à fait atteindre l’orgasme par elles-mêmes. Et ce, sans l’aide d’une pénétration. C’est une révolution dans la chambre à coucher et une culpabilité féminine, également, qui tombe.
Pour revenir à notre question de départ, je vous propose donc quelques raisons pour lesquelles on peut (doit!) sortir de l’injonction à la pénétration:
1) Une hiérarchie des pratiques sexuelles
Tout miser sur la pénétration fait en sorte que ce qu’on considère la sexualité «normale» et valide est celle qui inclut une personne de sexe masculin et une personne de sexe féminin. Quand on pense pénétration, on l’associe automatiquement à «pénis dans vagin». Cette équation est même considérée comme le scellant, en quelque sorte, de la véritable relation sexuelle. En effet, même encore à notre époque, on évoque beaucoup la fameuse «première fois». Le discours normatif autour de la sexualité prépare les jeunes à cette éventualité et donc, très tôt, on apprend et on assimile qu’éventuellement, la sexualité acceptable est celle qui est hétérosexuelle et qu’elle va advenir par cette fameuse pénétration. Le message qui passe alors est problématique, car on oblitère à ce moment toutes les autres pratiques, tous les autres gestes; on crée une hiérarchie des pratiques sexuelles.
La masturbation, par exemple, qui fait pourtant partie de la sexualité et de la santé sexuelle est perçue comme moins importante. Même chose pour les caresses mutuelles, les baisers, le sexe oral, par exemple. Pourtant, ce sont des éléments qui ont une importance cruciale pour apprendre à se connaître, pour avoir du plaisir. Et elles sont entières et complètes, elles aussi.
2) Briser le fossé orgasmique
Depuis plusieurs années, de nombreux.ses auteurs.trices et chercheur.es se penchent sur la question. À l’aide de nombreuses statistiques, on a fréquemment démontré qu’on a pas encore atteint l’égalité, côté plaisir sexuel. En 2017, Archives of Sexual Behavior publiait une étude dans laquelle on apprend que les femmes hétérosexuelles ont nettement moins d’orgasmes que les hommes hétéros. 65% d’entre elles seulement atteignent l’orgasme lors de relations pénétratives. Pour les hommes? C’est 95%, c’est-à-dire presque à tout coup. On a longtemps accolé aux femmes l’étiquette du manque de désir et de pulsions sexuelles. Non seulement c’est ultra faux, mais l’étude en question démontre que, chez les femmes lesbiennes, l’atteinte de l’orgasme monte à 86%. Comme quoi…
On a longtemps entendu la fameuse question: vaginale ou clitoridienne? Eh bien, ça ne veut rien dire. On estime maintenant que ce sont les ramifications du clitoris – prolongés derrière le vagin – qui créent l’orgasme. Et la pénétration n’est pas le meilleur moyen pour le stimuler. Oui, il y a des sensations ressenties. Oui, on peut aimer la pénétration, mais ce sont les longs piliers du clitoris (qui peuvent aller jusqu’à 15 cm) qui sont stimulés et réagissent au frottement du pénis ou d’un objet sexuel.
3) Une sexualité plurielle (et pas juste hétérosexuelle)
On le disait plus tôt: la pénétration est automatiquement associée à la sexualité hétérosexuelle. Si elle est accolée à la sexualité homosexuelle, on fait alors souvent une généralisation; on assume que tous les hommes gais la pratiquent. Ce qui n’est pas le cas. Cela soulève aussi un tabou important: la pénétration semble cruciale et extraordinaire pour les personnes de sexe féminin ou les hommes gais. Par contre, elle ne semble absolument pas acceptable pour les hommes hétéros.
En effet, on aborde quasiment jamais le fait que des hommes hétéros peuvent aimer être pénétrés. Qu’il s’agit-là d’une pratique qui peut procurer des sensations très intenses en stimulant la prostate, une zone érogène importante chez les personnes de sexe masculin. On a malheureusement tendance à associer pénétration anale à homosexualité. Alors que ça n’a strictement rien à voir avec l’orientation sexuelle; on parle ici de préférences sexuelles, de sensations. Pas de choix de partenaires amoureux.ses et/ou sexuel.les. Ainsi, non seulement on met une importance démesurée sur la pénétration, mais elle doit être faite selon certains critères, sinon elle n’est pas viable.
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4) Mettre de l’avant d’autres pratiques et d’autres sexualités (ou absence de sexualité)
S’éloigner de l’idée que la pénétration (par un pénis) est au centre de tout permet aussi de valider d’autres formes de sexualité et d’autres pratiques. Si l’on croit que la sexualité valide correspond à une pénétration d’un vagin par un pénis, on estime, au fond, que la sexualité entre deux personnes de sexe féminin n’en est pas vraiment. On met aussi de côté toutes les infinies options et situations qui doivent être incluses dans la sexualité au sens large.
Une sexualité avec des jouets sexuels, par exemple. Que ce soit avec soi-même ou avec d’autres. Des jeux sexuels basés sur des échanges non pénétratifs. Une sexualité vécue avec et par une personne qui a eu une métaiodoplastie*, une phalloplastie ou, encore, une vaginoplastie et que ce soit normalisé. Laisser de côté l’obligation de la pénétration, c’est aussi accepter qu’il y a 1000 et une façons d’avoir du plaisir. Que chaque personne fait son propre parcours sexuel, selon ses envies et désirs. On ouvre aussi la porte vers une meilleure compréhension des personnes qui choisissent de se passer de sexualité (asexualité). Ou qui ont besoin d’un lien affectif fort pour en vouloir (demisexualité). Ou, encore, qui ont une attirance pour la personne avant le genre ou le sexe de celle-ci (pansexualité). Bref, ça ouvre bien des horizons!
5) Exit la performance
Quand on enlève la pénétration à tout crin, on retire aussi une injonction à la performance. Et on réalise aussi que c’est une vision très capacitiste de la sexualité. En effet, la vie sexuelle semble réservée aux personnes jeunes, en santé et aux corps «capables» et valides (able body VS disabled body). Que fait-on des personnes en situation de handicap? Des personnes âgées? Des gens qui ont certaines limitations dues à une maladie chronique? Par exemple, de nombreuses personnes de sexe féminin souffrent de vulvodynie. Ce sont des douleurs très intenses dans certaines régions vulvaires et/ou à l’entrée du vagin. L’endométriose peut également créer des douleurs lors de la pénétration. Les problèmes érectiles sont plus souvent fréquents qu’on pense. Toutes ces personnes doivent-elles pour autant se passer de sexualité? Que nenni!
La pénétration n’est pas le problème
En soi, la pénétration n’est pas un problème. Ce sont les idées qui circulent autour qui créent des dissonances. C’est sa définition et son importance démesurée dans la relation sexuelle qu’on remet en question. Il y a un monde entre ce qui doit être une sexualité épanouie et «normale» – selon ce qu’on en dit dans les médias et consorts – et ce qui est réellement vécu. D’ailleurs, on a vu paraître dans les derniers mois voire années, plusieurs ouvrages qui questionnent cette injonction.
Si le sujet vous intéresse, je vous suggère fortement Au-delà de la pénétration de Martin Page, un petit ouvrage que l’auteur a dû autoéditer parce que les maisons d’édition refusaient son bouquin. Mais qui a connu un tel succès, que les copies ont rapidement manqué et qu’une maison d’édition a finalement repris le livre pour fournir aux commandes. À croire que l’auteur n’était pas le seul à se questionner sur le sujet. Il y a aussi Sarah Barmak, journaliste canadienne qui, avec son essai Jouir (Zones Éditions, 2019), offre une enquête sur le plaisir féminin qui déboulonne plusieurs mythes sur le sujet. Et, tout récemment, la journaliste et chroniqueure française Maïa Mazaurette avec Sortir du trou / Lever la tête (Éditions Anne Carrière, 2020).
* Intervention médicale qui permet au clitoris d’être allongé pour créer un pénis.
Pour aller plus loin…
À lire sans faute: cet essai qui questionne l’impératif de la pénétration dans une sexualité qui, de plus, est extrêmement hétéronormative.