C’est Frédérique Simoneau, étudiante en sexologie et stagiaire dans une école secondaire qui a reçu la question de la part d’étudiant.es. Les jeunes se demandent s’il y a un danger à faire le No Nut November. Pour l’aider, on va tenter de répondre à la question.
No Nut Quoi?
D’abord, il faut savoir ce qu’est le No Nut November. Pensez au Ice Bucket Challenge, au Cinnamon Challenge ou au Bird Box Challenge. Ce sont des compétitions ludiques sur le web, auxquelles les gens participent pour le plaisir. L’idée est de partager leurs exploits (ou pas) sur différents médias sociaux comme YouTube ou Tik Tok. Le No Nut November s’inscrit dans cette lignée.
Chaque année, le populaire challenge revient en force et s’adresse majoritairement aux hommes hétérosexuels. Il consiste à ne pas se masturber et ne pas éjaculer pendant un mois complet. Le nom du défi est repris du No Shave November, plus connu sous Movember. Mais il trouve également ses racines dans un autre mouvement bien connu des 4Chan et Reddit de ce monde: le NoFap. Le défi est le même, mais le NoFap est aussi axé sur l’idée de se départir de la «mauvaise» habitude d’avoir recours à la pornographie et se débarrasser de comportements sexuels addictifs.
La première mention du No Nut November sur le web remonte à 2011, mais on retrouve aussi le nom NoFap September dès 2009. Sur Reddit, à l’heure actuelle, près de 86 000 membres font partie de la chaîne No Nut November qui sert à mettre de l’avant les règles du jeu par le modérateur du forum, nommé Nut Chief/Nut Daddy, mais qui permet aussi aux différents participants de pouvoir échanger et s’encourager pendant ledit mois avec les autres cumrades.
Des effets réels sur le corps et l’esprit ?
Le mouvement NoFap aurait émergé sur la base d’une étude chinoise de 2003 qui a mis en évidence une montée de la testostérone chez plusieurs participants après plusieurs jours (7) d’abstinence. Les adeptes de ces challenges participent avec la volonté de reprendre une sorte de force vitale masculine. Les fervents du No Nut November partagent, par exemple, des vidéos dans lesquelles on voit leur évolution pendant tout le mois, passant d’un visage fatigué à celui, serein et lumineux, de quelqu’un qui a subi une sorte de cure de jeunesse. Les différentes retombées notées par les participants sont souvent de cet ordre: plus d’énergie, de motivation, de confiance en soi. Certains vont même jusqu’à dire que leurs idées sont plus claires et qu’ils rencontrent un meilleur succès avec les femmes.
Cela dit, jusqu’à maintenant, il y a beaucoup plus de données scientifiques qui sont en faveur d’une éjaculation fréquente que celles qui appuient les idées véhiculées par ces mouvements qui, eux, prônent une restriction de l’éjaculation. Il n’y a pas réellement de preuves scientifiques solides qui font état de bénéfices tangibles à empêcher la masturbation. Par contre, entreprendre un défi, et persévérer dans la direction qu’on s’est donnée pour le réussir, peut totalement amener d’importants avantages pour la personne qui le fait. Et cela explique certainement l’augmentation de la motivation, de l’énergie et de la confiance en soi.
En effet, il y a une importante forme d’empowerment à surmonter un challenge du genre. Lorsqu’on se sent plus en maîtrise de soi, on a conséquemment les idées plus claires et, être confiant.e et bien dans sa peau, eh bien, c’est séduisant! Il ne faut donc pas chercher très loin les réponses aux améliorations rencontrées par les adeptes du No Nut November.
Blue Balls et cie: y’a-t-il un danger?
Vous avez peut-être déjà entendu parler du syndrôme des couilles bleues ou «Blue Balls Syndrome»? C’est une expression souvent utilisée à la blague pour parler d’un besoin sexuel trop réfréné qui laisserait les testicules bleuies du fait de ne point arriver à «se vider». La référence un peu vulgaire vient tout de même d’une crainte bien réelle. Et le No Nut November peut laisser penser à bien des jeunes garçons et jeunes hommes que leurs testicules pourraient pâtir d’un traitement de la sorte.
Cela dit, il n’y a pas de danger. Ce qu’on appelle le syndrome des couilles bleues (ou boules bleues) est en fait l’hypertension épididymale, c’est-à-dire lorsqu’il y a une excitation prolongée du pénis, sans que l’éjaculation puisse arriver. Mais, selon l’urologue Richard K. Lee, interviewé par Men’s Health, il semble que ceci n’arrive en général que s’il y a un blocage, causé par exemple, par l’utilisation d’un anneau pénien (ou cockring) ou un médicament pour maintenir l’érection (i.e le viagra).
De façon générale, rien n’indique qu’il peut y avoir des conséquences physiques négatives à relever le défi mensuel. Et les répercussions positives semblent bien réelles selon plusieurs jeunes hommes qui témoignent de leur expérience, mais comme on l’a indiqué plus haut, on pourrait être porté à croire que le bien-être ressenti et les changements vécus découlent plutôt de la fierté d’avoir relevé un challenge et d’avoir un sentiment de réussite, que du fait d’avoir stopper la masturbation et l’éjaculation.
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Se poser les bonnes questions
Cela dit, il est évident que le No Nut November peut avoir le bon côté d’amener un questionnement légitime sur sa propre satisfaction sexuelle, les raisons qui mènent à la masturbation et, particulièrement, sa consommation de pornographie. On sait que cette dernière a des impacts majeurs sur les jeunes et que, malheureusement, elle sert souvent très tôt de seule éducation à la sexualité. Dans un dossier de 2018 du Devoir sur l’enfance à l’ère du #MoiAussi, on parle d’ailleurs d’enfants accros dès 8 ans à ce type de contenu.
De nombreux jeunes hommes qui participent au challenge parlent d’une volonté de stopper une forme d’addiction à la pornographie. Ainsi, tout n’est pas mauvais: il peut y avoir des bénéfices à s’arrêter pour se demander si nos comportements masturbatoires sont sains, s’ils nous apportent un bien-être. Ou si, au contraire, on les vit avec culpabilité et/ou pour pallier à des frustrations, des manques, etc.
Pourquoi le No Nut November est problématique?
Prendre une pause de masturbation et de pornographie n’est pas un problème en soi. Mais les discours qui entourent le No Nut November et le NoFap sont très contraignants et culpabilisants. On sait que, pendant longtemps, la masturbation a été fortement réprouvée, voire démonisée, et il reste encore de nombreuses séquelles et de grands tabous autour de cette pratique, pourtant totalement normale et saine. Le message qui est véhiculé ici est que la masturbation est nocive. Même chose avec la pornographie qui, pourtant, peut être une source de plaisir et d’inspiration.
Les participants font aussi référence à une masculinité très stéréotypée. Par exemple, on évoque les forts qui vont réussir le défi versus les faibles qui vont échouer. Pour ce faire, on utilisera des illustrations de corps musclés (ex.: des superhéros) pour imager la réussite du défi versus des corps décharnés et amaigris pour ceux qui auront abandonné. Ce qui n’est pas sans rappeler les images qui, au 19e siècle, circulaient pour effrayer quiconque commettait le péché de masturbation: visage émacié, corps couvert de cloques, hémorragie, etc.
On a longtemps pensé, d’ailleurs, que la masturbation était un gaspillage de sperme, cette substance vitale qui, non seulement permet d’enfanter, mais aussi de donner vigueur et force. Avec de telles réflexions, c’est comme si on revenait en arrière vers des théories plus ou moins farfelues qui justifient, encore une fois, une vision de la sexualité culpabilisante, contraignante et, surtout, basée sur une forme de punition, de privation. Pensons juste aux programmes d’éducation à la sexualité basés sur l’abstinence qui ont démontré que… ça ne fonctionne pas. Au contraire, ça empire la situation!
Des fondements religieux et… d’extrême-droite
Le mouvement NoFap a aussi des fondements religieux qui, s’ils n’apparaissent pas de prime abord, font surface quand même rapidement. On peut même voir, dans des montages d’images qui circulent sur le web, des phrases comme «Doing NNN show your devotion to Jesus». Des parallèles sont aussi à faire avec la montée du mouvement de la droite radicale aux États-Unis, avec des groupes comme les #ProudBoys qui utilisent le mot-clic #NoWanks en réprouvant la masturbation qui est, selon eux, pour les faibles. Des liens avec la communauté des Incels sont également très faciles à trouver en quelques recherches rapides sur Google…
D’ailleurs, fait intéressant concernant cette masculinité traditionnelle et dominante, les résultats trouvés sur Youtube en cherchant les mots-clés « No Nut November Benefits » sont très parlants. En effet, les noms d’utilisateurs des Youtubeurs qui vantent les mérites d’un tel traitement ramènent tous à l’idée d’un surhomme: Alpha Show, Improvement Pill, Pinnacle of Man, Based Zeus. Bref, on a à faire ici avec une image de la masculinité qui est stéréotypée au possible, souvent très peu réaliste et surtout, problématique pour bien des jeunes hommes qui ne correspondent pas du tout à celle-ci.
Ajoutons aussi que le défi No Nut November est suivi de son antithèse: le Destroy Dick December. Cette fois, le but est de se masturber à profusion et de progressivement augmenter la cadence la pratique masturbatoire. Par exemple, le 1er décembre, on le fait une fois. Le 2 décembre, deux fois et ainsi de suite. C’est, en quelque sorte, la récompense qui suit le mois de privation, laissant encore planer l’idée que, quoi que l’on fasse, les hommes ont toujours ce besoin urgent de soulager leurs envies sexuelles.
No Nut November: sans danger, mais à méditer
En résumé, il n’y a pas de danger à faire le No Nut Challenge. On peut tout à fait décider de prendre une pause de masturbation et de porno. Et si des gens considèrent que ça leur fait du bien de prendre part à ce défi et qu’ils en ressentent des bénéfices; tant mieux!. Mais encore faut-il le faire pour des raisons valables et dans une idée d’améliorer son bien-être sexuel et global. Entreprendre le No Nut Challenge n’est pas le problème; ce sont les motivations derrière qui reposent sur des préceptes problématiques de honte, de culpabilité et de restriction. Ça n’a jamais été une méthode efficace et ça ne le sera jamais.
Pour aller
plus loin…
Cet essai de Francis Dupuis-Déri peut amener des pistes de réflexion fort pertinentes pour mieux comprendre la masculinité hégémonique, c’est-à-dire une masculinité de domination.
Photo de une: Burak The Weekender