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Pourquoi certaines victimes d’agression sexuelle ne se défendent pas? 

Lorsqu’il y a une agression sexuelle, on remet souvent en doute les moyens de défense des victimes. Mais qu’en est-il réellement?

Il y a trois semaines, on apprenait l’identité de la victime de l’ancien député de l’Assemblée nationale, Harold Lebel. Ce dernier a été reconnu coupable d’agression sexuelle sur l’actuelle mairesse de Longueuil, Catherine Fournier. Plusieurs grands médias ont évidemment et, sans surprise, repris la nouvelle. Par contre, ce qui a rapidement émergé, ce sont les commentaires du public. Isabelle Hachey, journaliste à La Presse, a même fait un article sur le sujet, tellement elle a reçu de courriels à ce propos. 

Le problème avec ces courriels? On y blâme la victime. Même si l’agresseur a été reconnu coupable. Même si on est en 2023 et qu’on devrait être en mesure de mieux comprendre les lourdes conséquences d’une agression sexuelle et les rouages sociaux et politiques qui les facilitent. L’article de La Presse a été énormément relayé, ce qui a certainement contribué à recevoir la question suivante d’un.e de nos auditeur.trice : pourquoi les victimes d’agression sexuelle ne se défendent pas? 

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Une incompréhension importante 

C’est la réflexion qui passe par la tête de bien des gens. Comment se fait-il qu’une personne ne réagisse pas, alors qu’on l’agresse? C’est simple pourtant: on dit non et on s’en va! Combien de fois on a pu entendre « moi, j’aurais fait ceci ou cela » ou, encore, « tu peux être sûr.e que je ne me serais pas laissé.e faire! ». En résumé, on doute de la défense qu’ont utilisé les victimes d’agression sexuelle. Évidemment, hors contexte, il est facile de penser qu’on peut contrôler la situation et qu’on aurait pu faire mieux. Mais ce n’est pas si simple. 

Il faut d’abord rappeler qu’il y a une méconnaissance profonde des mécanismes qui se mettent en action lorsqu’une personne est en danger. Car c’est bien de cela qu’il s’agit; une agression sexuelle est un acte de violence qui met une personne en état d’alerte. Lorsque l’on vit une situation traumatisante, on peut réagir de diverses manières. Mais chose certaine; on ne choisit pas la réaction qu’on a. C’est ce qu’on appelle communément le fight or flight response. C’est une réponse du corps à un événement qui est perçu comme menaçant/effrayant. Ainsi, le système nerveux sympathique, aussi appelé autonome, réagit automatiquement et sans notre concours pour, ultimement, nous garder en vie. 

Différents mécanismes de défense 

Comme mentionné plus tôt, on parle souvent du fight or flight, mais ce ne sont pas les seules réactions possibles à une menace. On parlera en fait des 5 F, c’est-à-dire fight, flight, friend, freeze et flop. Je vais expliquer chacune d’elles, mais il est important de savoir qu’il n’y a pas d’ordre entre ces réactions; elles émergent indépendamment, selon la personne, la situation, etc. 

  • Fight (se défendre) : la personne réagit en se mettant en mode défensif. Par exemple, elle peut frapper, pousser l’autre, crier, se débattre, etc; 
  • Flight (fuir) : la fuite est une façon efficace de s’éloigner du danger imminent. Donc, la personne peut se mettre à courir pour semer son agresseur.e;   
  • Friend (ami) : une victime peut avoir le réflexe de chercher l’appui d’une personne à proximité, par exemple, en criant à l’aide; 
  • Freeze (figer) : la victime peut être complètement figée, incapable de réagir;  
  • Flop (dissocier) : la personne verra son corps et sa tête ne plus être capables de répondre. Elle peut tomber par terre, complètement molle et sans réaction. Elle peut se dissocier, donc s’absenter mentalement pour ne pas vivre le traumatisme. 

D’autres réactions possibles

Des spécialistes en psychologie vont aussi parler de trois autres réponses : 

  • Flawn (flatter) : l’idée est de tenter d’amadouer la personne qui agresse dans le but de réduire les effets possibles de la violence. Ça peut se faire en lui faisant des compliments, en essayant de lui parler, en proposant de ne rien dire à la police, par exemple, si on la laisse partir;
  • Flood (être submergé.e) : la personne peut se retrouver comme écrasée, submergée par une vague d’émotions ressenties (peur, tristesse, confusion, etc.)Tout ça peut faire que la personne est incapable de réagir, trop prise à gérer le flot d’émotions; 
  • Fatigue : il est possible que la victime soit envahie par une grande lassitude qui l’empêche de réagir. Cela peut parfois mener à la dissociation. 

Et, répétons-le; il n’y a pas de hiérarchie entre ces différentes réactions. Elles sont toutes normales, légitimes et constituent des moyens de défense contre un événement traumatisant – une agression sexuelle – qui sont valides.

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Blâmer la victime : pourquoi? 

Sachant cela, on comprend peut-être mieux pourquoi les commentaires désobligeants partagés dans La Presse font réagir. En 2023, après toutes les vagues du mouvement #MeToo, on devrait pourtant savoir cela et comprendre que les victimes n’ont pas cherché à être agressées et n’ont pas à porter le fardeau de la honte. Alors pourquoi on voit encore des gens insister sur le fait que les victimes d’agression sexuelle sont aussi coupables et de n’avoir aucune défense. De faire, ce qu’on appelle communément, du victim blaming? Il y a une explication simple à cela. 

Lorsqu’un événement traumatisant arrive – gardons l’exemple de l’agression sexuelle – le premier réflexe est de se dire que c’est triste, grave et terrible, mais que cela « arrive aux autres ». On va donc blâmer la victime d’avoir soit été « insouciante », « irresponsable », « de l’avoir cherché », « provoqué » d’une façon ou d’une autre. Ou encore, on va entendre que la personne avait consommé, portait des vêtements inappropriés ou avait, de toute façon, « des mœurs légères ». Bref, encore une fois, on doute de la défense que la personne a prise pour éviter l’agression sexuelle.

Une peur bien réelle 

Ce qui se cache derrière cela, c’est la peur. La peur que cela nous arrive, la peur qu’on devienne aussi une victime. En blâmant la personne qui a subi l’agression, on s’auto convainc – en quelque sorte – qu’on aurait fait mieux. Qu’on aurait pu éviter le drame. Et donc, au final, que cela ne nous arrivera pas. Nous « on sait » mieux que les autres, donc on est hors danger. Parce que ce genre d’événement, ça marque les esprits, c’est dérangeant, c’est dur à comprendre.

De plus, comme humain.e.s, on a besoin de faire sens de ce type de traumatisme. On veut donc une explication, on doit trouver une raison; sinon, c’est juste inhumain, barbare, violent, incompréhensible. Et le malaise perdure. Ainsi que la peur. Bref, c’est une façon – maladroite et problématique – de se rassurer. Parce que c’est rassurant de s’imaginer que la vie est équitable et qu’il y a une explication raisonnable pour chaque chose. 

Pour revenir à la question de notre auditeur.trice, on peut résumer en disant que probablement toutes les victimes d’agression sexuelle se défendent. Mais, comme on a pu le voir, les moyens de défense varient d’une personne à l’autre, d’une situation à l’autre, d’un contexte à l’autre. Et comme on apprend depuis longtemps aux femmes, particulièrement, de « se protéger », de « faire attention à elles », de se « méfier », il est certain qu’on va considérer le fait de figer comme une forme de passivité, voire d’acceptation.

Alors que, on l’a vu, ce n’est absolument pas le cas. Cela ramène aussi la responsabilité sur les épaules de la victime qui « aurait dû faire plus attention » et, donc, des dérives possibles vers une culpabilisation, comme on a pu le voir dans l’article de La Presse. Et cela fait en sorte que l’on continue à responsabiliser les victimes pour ce qu’elles ont vécu. 

Une culture à transformer  

C’est un peu le problème  que l’on retrouve dans la plus récente campagne de sensibilisation d’Éduc’alcool qui s’intitule #CheckTonVerre. Ce projet a pour but de faire la «  distribution gratuite de 10 000 protège-verres afin de, notamment, protéger les consommatrices et les consommateurs contre l’ajout, à leur insu, de substances illicites dans leur verre ». Bien que l’on s’adresse aux consommateurs.trices d’alcool, peu importe leur genre, il reste que l’idée derrière est, encore et toujours, d’agir sur la responsabilité individuelle. On peut déjà imaginer des commentaires du genre : « Est-ce qu’il ou elle avait son protège-verre? » ou, encore, « C’est sûr qu’elle a été droguée, elle n’a pas sécurisé son verre! ». 

En fait, il faut réaliser que, ce qui est plus que jamais nécessaire, c’est de sensibiliser la collectivité et de faire front commun pour s’attaquer aux violences à caractère sexuel. Parce qu’on va avoir besoin de bien plus que des protège-verres pour transformer une société qui, on le constate depuis plusieurs années, est plus que permissive avec les violences sexuelles.

Photo de Anete Lusina

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