S’inquiéter, ça dépend. S’y intéresser, certainement! C’est d’ailleurs ce que dit un ouvrage qui vient tout juste de paraître aux MIT Press. Intitulé Behind Their Screens : What Teens Are Facing (And Adults Are Missing), l’ouvrage est écrit par Emily Weinstein et Carrie James, deux sociologues de l’Université de Harvard. Ces dernières ont passé les cinq dernières années à interviewer plus de 3000 ados et préados sur la façon dont les écrans et leur téléphone intelligent influencent leurs comportements. Elles ont réalisé que les parents préconisent deux approches, soit 1) blâmer la technologie et la voir comme une fatalité et 2) dire à leurs jeunes de ne simplement pas « sexter ». Et… ça ne fonctionne pas.
Les jeunes se retrouvent devant des outils technologiques avec plein de possibilités, mais sans appui, tant sur les bons et mauvais côtés que ça peut amener dans leur vie. Selon Weinstein et James, empêcher les jeunes de sexter, c’est ne pas comprendre la relation que les ados ont avec leurs écrans et leurs appareils intelligents aujourd’hui. Et, surtout, c’est ne pas s’intéresser aux moyens de communication qu’ielles utilisent entre elleux. Le sextage en fait partie.
C’est quoi et pourquoi faire du sextage?
Le sextage, ou sexting en anglais, fait référence à l’envoi de messages à caractère sexuel. Cela inclut textes, images, vidéos envoyés via textos, courriels, chats et webcam. Les jeunes (et moins jeunes) font du sextage pour des raisons tout aussi variées que personnelles. Selon les deux chercheures nommées plus tôt, les ados textent parce qu’ielles trouvent ça « l’fun et excitant ». Ielles le font aussi « pour impressionner une personne qui leur plaît » ou, encore, « pour approfondir une relation déjà existante ». Du côté de chez Jeunesse j’écoute, on évoque la curiosité, l’exploration de la sexualité et l’envie de rapprochements. On parle aussi de pression sociale.
Une nouvelle étude parue en mars 2022 intitulée Production, Envoi et Retransmission de Sextos chez les Adolescents : Prévalence et Facteurs Associés, fait le portrait des pratiques de sextage chez plus de 1000 élèves de 4e et 5e secondaire du Bas-Saint-Laurent. Les raisons principales pour sexter sont 1) flirter et 2) offrir un cadeau sexy à un.e partenaire romantique. On voit également une différence importante entre les garçons et les filles. L’étude démontre que « 16,7% des filles ont envoyé des sextos parce qu’elles étaient soumises à de la pression de la part d’un partenaire, et que 3,7% l’ont fait parce qu’elles se sentaient obligées ou menacées. »
Du côté des garçons, on voit « une plus grande acceptabilité sociale lorsqu’ils produisent et envoient du contenu sexuellement explicite ». Dans certains cas, on constate même « une certaine valorisation sociale après que leurs images aient été rendues publiques. » Donc, il y a un important double standard. On a malheureusement tendance, pour les filles, à leur faire subir du slutshaming ou du victim blaming. C’est-à-dire qu’on va souvent les stigmatiser. D’une part en les jugeant sur leurs comportements sexués. D’autre part, en les blâmant au lieu de les supporter, si elles sont victimes d’une personne qui a partagé des images d’elles sans consentement. Alors qu’il s’agit pourtant d’un crime.
Tous.tes les jeunes font du sextage (ou pas)
Non, ce n’est pas la majorité des jeunes qui envoient et reçoivent des sextos. Selon l’étude réalisée dans la région du Bas-Saint-Laurent,, on estime « qu’environ un adolescent sur quatre a déjà produit et a déjà envoyé des sextos, et environ 3 % des adolescents en a déjà retransmis.» Du côté du projet PRESAJ (Précurseurs des relations sexuelles et amoureuses des jeunes, 2021), on rapporte « qu’environ 1/3 des élèves ont déjà envoyé un sexto et 1/4 ont déjà envoyé une photo/vidéo à caractère sexuel.»
Cela dit, ce n’est pas parce qu’une majorité de jeunes ne fait pas de sextage qu’il faut délaisser cet aspect dans l’éducation à la sexualité.
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Pourquoi c’est important de former les jeunes sur le sextage?
D’abord, parce que, tout comme vous avez transgressé des limites quand vous étiez jeunes, les ados vont faire de même. Plus il y a des interdits autour d’une pratique, plus elle apparaît intrigante et tentante. Le sextage est comme l’abstinence; empêcher les jeunes de sexter ne fera pas en sorte qu’ielles sextent moins. Ielles vont simplement le faire… en avançant dans le noir et sans information concrète sur le sujet.
De plus, il est quasi impossible de faire abstraction du fait que les jeunes ont tous.tes accès, ou presque, à un téléphone intelligent. C’est leur principal moyen de communication, que ce soit via textos et/ou des applications comme TikTok ou Whatsapp. Leur remettre l’outil entre les mains, sans conseils ni balises, c’est un peu comme leur donner les clés de l’automobile sans cours de conduite ni permis. Laisseriez-vous partir votre jeune sans vous assurer qu’il ou elle ait les compétences, habiletés et papiers nécessaires pour manipuler votre auto? Eh bien, c’est similaire avec le téléphone; il y a des règles à suivre.
Un moyen pour rester en communication
N’oublions pas que, pendant la pandémie, les jeunes ont pu rester en contact grâce aux différents écrans. Sur le site pausetonécran.com, un article du CIEL (Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne) explique que le confinement et la pandémie ont donné l’occasion aux jeunes de revaloriser les contacts en personne. Par contre, texter ou faire des visioconférences ont constitué des avenues nécessaires pour poursuivre les communications entre ami.es et connaissances. À cet âge, les échanges entre pairs sont ultra importants pour le développement personnel et social.
Parmi les apprentissages à proposer aux jeunes également, il y a aussi tout l’aspect juridique entourant le partage d’images intimes. On ne peut faire abstraction de tout un pan de cette pratique qui présente des risques réels.
Sexter, au péril de sa sécurité?
Au Canada, il existe une loi concernant le partage de photos et vidéos intimes. Les personnes âgées de 18 ans et plus peuvent s’envoyer et partager des images intimes d’elles-mêmes. Par contre, celles-ci doivent être réalisées dans un cadre consenti. Cependant, du côté des personnes mineures, « [l]a loi canadienne considère comme de la pornographie juvénile toute photo ou vidéo à caractère sexuel exposant une personne de moins de 18 ans ». On ne peut pas « posséder, produire, avoir accès et distribuer » des photos et/ou vidéos d’une personne mineure. C’est considéré comme de la pornographie juvénile.
Le Piamp, un organisme qui œuvre depuis 40 ans avec les jeunes qui échangent des services sexuels, a créé un guide pratique pour sensibiliser au sextage. Dans ce document, on explique qu’une personne majeure, qui possède du matériel sensible dans lequel est impliquée une personne mineure, peut être passible d’une peine d’emprisonnement de 1 à 14 ans. Si on a entre 12 et 17 ans, les peines sont moindres. Cela peut inclure : amende, bénévolat, surveillance et garde à vue, perte du droit d’utilisation de l’appareil utilisé et dossier judiciaire adolescent.
Cela dit, il existe l’arrêt Sharpe. C’est un énoncé de la Cour suprême du Canada qui permet
« une exception dite de l’« usage personnel » dans les dispositions sur la pornographie juvénile. Cette exception permet à deux adolescents de se livrer à une activité sexuelle licite, d’enregistrer de manière consensuelle leur propre activité sexuelle, pourvu que l’enregistrement soit fait ou possédé à leur propre « usage personnel ». Le matériel demeure de la pornographie juvénile, mais les adolescents peuvent légalement le posséder pour leur usage personnel. Dès que ce matériel sert à une autre fin que leur usage personnel (par exemple, lorsque l’un des adolescents l’envoie à un ami), il tombe sous le coup des dispositions sur la pornographie juvénile.»
Cour suprême du Canada
Des trucs pour aborder le sextage avec vos jeunes
Si vous ne savez pas comment aborder le sujet du sextage avec vos ados ou préados, voici quelques idées :
- Utiliser l’actualité pour en discuter (nouvelles, séries télé, films, etc.);
- Parler plus largement de relations et de communication;
- Aborder le consentement et la capacité à mettre ses limites;
- Avoir recours à un jeu comme En savoir plus sur les sexualités qui permet de poser des questions sur divers sujets et peut faciliter les discussions.
Du côté d’Habilo Médias, le Centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique, on propose trois angles d’approche. Dans un premier temps on suggère d’aborder les relations saines. Ensuite, de discuter d’envoi de sextos et, par la suite, de transfert de sextos. Comme on a vu que plusieurs jeunes filles, entre autres, sont poussées à envoyer des sextos sous pression, par obligation et/ou par menace, il est important de partir de la base. On peut expliquer aux jeunes qu’une relation intime doit reposer sur le respect mutuel, la confiance et la communication. Et leur rappeler que la coercition et la contrainte n’y ont pas leur place.
On peut d’ailleurs en profiter pour parler de stéréotypes de genre. L’idée serait de déconstruire certaines idées reçues sur la féminité et la masculinité. Par exemple, le fait qu’une fille soit jugée sur ses comportements sexuels alors qu’un garçon est célébré pour la même chose. C’est un double standard à défaire. Il est aussi important de rappeler aux jeunes qu’ielles ont une responsabilité en créant et en envoyant des sextos. Mais également en repartageant ceux des autres.
Sexter en toute sécurité
La réalité, c’est que les jeunes sextent qu’on le veuille ou non. Même si on ne sait jamais ce que l’autre personne fera de nos envois, il y aura toujours des personnes prêtes à prendre le risque. Parce que, c’est excitant. Entre autres, parce qu’il y a un interdit. Ça permet d’apprendre à connaître ce qui nous excite sexuellement. Ça attise le désir et ça permet d’amener les relations à un autre niveau d’intimité. On peut aussi se rappeler que les êtres humains aiment jouer; les sextos entrent dans cette catégorie. C’est du jeu, de la séduction. Les jeunes apprennent aussi à savoir qui ielles sont à travers cela. Tant face à leur sexualité, leur identité, leur orientation sexuelle que leurs désirs, etc.
Ainsi, mieux vaut avoir des trucs sous la main pour les aider. Le guide offert par le Piamp donne plusieurs exemples de pratiques plus sécuritaires. Par exemple:
- Cacher son visage;
- Ne pas montrer un élément distinctif du lieu où l’on se trouve (ex.: sa chambre à coucher);
- Éviter d’exposer un élément distinctif de son corps (tattoos, perçage, etc.);
- Utiliser une application de messagerie éphémère où le contenu s’efface après un temps X (tout en rappelant qu’une capture d’écran est si vite arrivée);
- Désactiver la géolocalisation.
On pose aussi des questions judicieuses aux jeunes pour les sensibiliser à l’envoi ou la réception de sextos. On leur parle du consentement, des solutions au cas où le ou la jeune reçoit une image intime non désirée et si une image intime est repartagée. Ou, encore, si une personne est menacée avec une image intime, bref, si elle est victime de sextorsion.
Une responsabilité importante
Comme parent ou tuteur.trice d’ados ou préados, essayez d’aller vers une approche ouverte plutôt que restrictive. Intéressez-vous à leur univers, à leurs façons de communiquer, à ce qui touche leur réalité de jeune en 2022. Les sextos en font partie, tout comme les MIRC et ICQ de ce monde vous permettaient d’échanger avec vos ami.e.s à l’époque. Ainsi que vos parents qui se sont échangés des lettres. Bref, ne les laissez pas dans le noir et dans l’incertitude; prenez les choses en main et accompagnez-les. Cela risque d’être beaucoup plus bénéfique que de se cacher la tête dans le sable et faire semblant que ça n’existe pas.