Barbie

Barbie : pourquoi ce film est utile à la sexologie?

Difficile de passer à côté du succès phénoménal de Barbie, ce long métrage à la fois adoré et décrié de toutes parts. Greta Gerwig devient, avec ce film, la réalisatrice la plus rentable de tous les temps, au niveau national (donc aux États-Unis). Ce qui n’est pas rien. Cela dit, qu’on aime ou non ce produit tout droit sorti de chez Mattel, il demeure qu’il s’agit-là d’un excellent outil de promotion (bien sûr) et de sensibilisation à des enjeux qui peuvent être adressés avec un ou une sexologue. Voici donc une petite liste de sujets qui peuvent trouver leur place dans nos bureaux de thérapeutes et auxquels le film de l’année (probablement) peut nous aider à répondre. 

📣📣📣Alerte au divulgâcheur : des éléments clés du film seront dévoilés dans cette chronique. 

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L’idéal féminin

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On ne peut parler de Barbie, sans évoquer les stéréotypes féminins. Barbie est une femme idéalisée, à la plastique parfaite. Dans le film, on la surnomme même stereotypical Barbie (Barbie stéréotypée) et ce n’est pas pour rien. Elle a les mensurations et l’attitude idéales; elle est blonde, mince, toujours le sourire aux lèvres et elle transpire la légèreté. Mais cela vient avec une pression énorme. Pression qui n’est pas sans rappeler celle que les femmes et personnes féminines ont à gérer au quotidien, tant dans leurs attitudes que dans leur apparence. Vers la fin du long métrage, le discours de Gloria, un personnage joué par l’actrice America Ferrera est très évocateur : 

« Il faut être mince, mais pas trop mince. Et il ne faut jamais dire qu’on veut être mince. On doit dire qu’on veut être en bonne santé, mais en étant mince. […] On est censées aimer être mère, mais il ne faut surtout pas parler de nos enfants tout le temps. Il faut être une femme de carrière, mais aussi toujours être à l’écoute des autres. On ne doit jamais vieillir, jamais être impolie, jamais se vanter, jamais être égoïste, jamais tomber, jamais échouer, jamais avoir peur, jamais sortir de la ligne. […] Et il s’avère en fait que non seulement on fait tout de travers, mais en plus, tout est de notre faute. » 

Gloria dans le film Barbie

Cet extrait en particulier permet de montrer que les attentes envers la féminité sont non seulement contradictoires; elles sont surtout complètement irréalistes. 

L’idéal masculin

Les hommes ne sont pas en reste. Alors que de nombreuses personnes ont dénoncé un film qu’ils ont perçu comme misandre (i.e qui déteste et démontre une aversion envers les hommes), c’est plutôt le contraire qui se passe dans Barbie. Oui, Ken est dépeint comme un être sans substance, prêt à tout pour conquérir Barbie. Mais c’est rester en surface. 

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En réalité, Ken est aux prises avec des attentes envers la masculinité qui sont complètement absurdes et nocives. Et c’est cela que pointe le film avant tout. On se paie la tête de Ken, bien sûr. Mais il n’est que la représentation, poussée à l’extrême, de ce qu’on nomme la masculinité toxique. C’est-à-dire une masculinité qui reconduit des stéréotypes de genre masculins et s’exprime via la domination, le sexisme et la violence. Ken n’est pas qu’un fier-à-bras sans cervelle, un paquet de muscles blond qui se vante de vivre dans sa mojo-dojo casa house. C’est en fait un être sensible qui se cache sous un tan parfait et qui n’a qu’une envie: être vu et être aimé. Ce qui est quand même le cas d’une majorité d’hommes. Et d’êtres humains. 

L’image corporelle

L’apparence physique de Barbie et Ken est frappante : ce sont des êtres plastiquement sans failles. Dans une époque comme la nôtre, avec la quantité de filtres qui existent pour améliorer son physique quand on se montre sur Instagram et consorts, cela peut faire réfléchir à nos attentes face aux corps et aux visages que l’on consomme. 

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Cela vient aussi toucher aux valeurs que l’on veut mettre de l’avant. Lorsque l’on se penche sur Barbie et Ken, on découvre bien vite que, malgré leurs looks parfaits, ils sont malheureux et assez peu satisfaits de leur vie. Ce qui ne veut pas dire par là que quiconque se préoccupe de son apparence vit la même chose. Pas du tout! C’est plutôt que l’autoréalisation de soi et le bonheur ne tiennent pas seulement à des vêtements dernier cri ou des mensurations précises. Il est important de s’en rappeler. 

Les enjeux dans les relations hétéronormatives 

 La relation entre Barbie et Ken semble aller de soi; les deux blonds platine sont manifestement faits pour aller ensemble. Mais Barbie n’a pas de sentiments amoureux pour Ken qui, pourtant, fait des pieds et des mains pour conquérir la belle poupée. Ce dernier prend mal ce rejet qu’il n’arrive pas à expliquer. Cette dynamique démontre que l’insistance à vouloir absolument obtenir « la femme de ses rêves » pour Ken est un élément inculqué dans notre culture populaire. Nombre de films et séries télévisées ont comme prémisse cette obsession masculine à posséder. Que ce soit un objet, une technologie, un lieu et, dans bien des cas, une personne. Pourtant, Barbie est tout à fait partante pour offrir son amitié à Ken. 

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Apparaît donc ici le concept de la friendzone (ou zone de l’amitié). L’expression fait référence à une personne qui souhaite avoir une relation amoureuse avec une autre. Mais cette autre personne ne veut qu’une relation amicale. Et c’est ce qui se passe entre Barbie et Ken. La zone de l’amitié est problématique; elle sonne comme un prix de consolation pour ne pas avoir réussi à se faire aimer. Et, disons-le, à obtenir de la sexualité de la part de la personne convoitée. Pourtant, offrir son amitié est une chose énorme, peut-être même encore plus grandiose que l’amour et la sexualité. 

La diversité sexuelle et de genre

De nombreux éléments du film font référence aux identités LGBTQ2SIA+. Cela est d’une importance capitale, particulièrement dans une ère où les droits des personnes issues des minorités sexuelles sont plus que jamais bafoués. On peut penser aux récentes lois passées en Floride, dont le projet Don’t Say Gay (Ne dites pas gai). 

Une des Barbie est jouée par l’actrice trans Hari Nef. Weird Barbie est interprétée par l’actrice Kate McKinnon, ouvertement lesbienne. De plus, ce personnage a été adopté par le public comme la Barbie queer, étant donné son look marginal et son attitude rebelle. Mais également parce que quelques allusions queer sont parsemées ici et là : Weird Barbie demande à Barbie de faire un choix entre des talons hauts et des sandales Birkenstock, une référence aux pilules bleu et rouge du film La Matrice, qui est maintenant reconnu comme une allégorie trans. Le choix des Birkenstock n’est pas non plus anodin: ce sont des chaussures largement associées aux lesbiennes qui, dans les années 70, étaient déjà nombreuses à en porter. Et il y a aussi le fait que la chanson Closer to Fine, du groupe queer The Indigo Girls, joue au moment où Barbie rend visite à Weird Barbie. 

Le fait de mettre ces différents personnages et clins d’œil de l’avant permet à de nombreuses personnes de se sentir représentées et d’y voir un appui, alors que les vies des personnes LGBTQ2SIA+ sont constamment en danger d’effacement et de violence. 

Une ère de joie

Évidemment, le film ne peut pas faire l’unanimité. Et il a des failles. La diversité et l’inclusion sont limitées. Par exemple, il n’y a aucune Barbie âgée, les Barbie en situation de handicap n’ont aucun des rôles parlants. Si, pour de nombreuses personnes, le long métrage est trop féministe, pour d’autres, il ne l’est pas assez. 

Personnellement, je ne cacherai pas le fait que j’ai adoré Barbie, mais aussi parce que je l’ai pris comme il est : un film fun, exubérant, rutilant et qui s’écoute dans le plaisir. Il a aussi la qualité de ramener énormément de gens au cinéma qui, juste pour le fun, se déguisent, se maquillent, se permettent de célébrer le bonheur d’être ensemble dans un monde qui va tout croche. Il demeure que ce film est aussi une ode à l’amitié, la sororité et la fraternité. Des valeurs que l’on ne célèbre pas assez. 

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En terminant, je citerai l’autrice et blogueuse queer Jen Wilde qui dit, dans son infolettre Stacks & Spoons

« Ce phénomène culturel que nous vivons, cette ère de joie, n’est pas une tentative superficielle d’ignorer la douleur du monde. Les filles, les femmes, les personnes non binaires, les homosexuels – les personnes à qui la joie a été le plus refusée – la récupèrent collectivement et la diffusent sans se soucier de ce que les autres pensent, peut-être pour la première fois. » 

Jen Wilde

Et si Barbie ne sert qu’à ça, c’est déjà énorme.

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