La semaine dernière, plusieurs grands médias, dont Bloomberg et Forbes, ont discuté d’un grand sondage national sur la sexualité des Américain.e.s, réalisé par Hims & Hers. Cette entreprise américaine offre des services de télémédecine et donne accès à certains médicaments pour, par exemple, traiter les dysfonctions érectiles. Elle vend aussi condoms, contraceptifs et lubrifiants. Ainsi, on se doute que Hims & Hers n’a pas réalisé son sondage par pur intérêt scientifique, mais que la compagnie a des visées mercantiles.
Cela dit, les résultats du rapport intitulé Let’s talk about sex, dans lequel on a sondé près de 7500 personnes, nous indiquent qu’il y a encore beaucoup à faire pour se détacher de certaines croyances à propos de la sexualité. Ceci m’a remis en tête plusieurs questions que les gens me posent fréquemment en tant que sexologue. Et comme nos auditeurices sont souvent gêné.es de nous les envoyer à l’émission, j’ai voulu les regrouper sous une grande interrogation : c’est quoi les croyances sur la sexualité dont il faut se défaire?
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*Puisque je parle ici des croyances que l’on traîne dans notre société depuis un moment, j’utiliserai les termes hommes et femmes qui leurs sont associé.
Croyance #1 : c’est toujours plus vert chez le voisin ou la voisine
Beaucoup de gens ont cette grande crainte de ne pas avoir assez de sexualité et que tout le monde alentour est extrêmement actif sexuellement. Mais la réalité est bien souvent différente. Comme on a tendance à être très vocaux en contexte social, à propos de la sexualité, on est, au contraire, peu loquace quand il s’agit d’avouer qu’on a peu ou pas de sexualité. On le constate d’ailleurs dans le sondage dont je vous parlais plutôt; 75% des répondant.e.s croient que les Américain.e.s ont du sexe une fois par semaine ou plus. La réalité? C’est plutôt 54% des gens qui ont réellement ce rythme.
Donc, y’a-t-il un nombre idéal de relations sexuelles pour que votre configuration amoureuse/sexuelle soit saine et fonctionnelle ? Eh bien, non. Parce que cela dépend de nombreux éléments. Il y a une grande pression sociale à avoir une vie sexuelle remplie, fréquente et variée. Mais bien des gens vivent des fluctuations du désir et n’ont pas une vie sexuelle continuellement éclatante et époustouflante. On peut ici se rappeler qu’on vient de vivre une pandémie qui a grandement affecté nos vies sexuelles, ce que confirme une étude menée en 2021 par Lori Brotto, professeure d’obstétrique et de gynécologie à l’Université de la Colombie-Britannique. Le constat est que les Canadiens et Canadiennes ont connu une baisse importante de l’activité sexuelle. Particulièrement chez les gens en couple.
On peut aussi être fatigué.e à cause du travail, être stressé.e, avoir la tête prise dans les soucis financiers, manquer de temps, avoir d’autres priorités (enfants, projets, études, parent à charge, etc.). Bref, 1001 raisons peuvent faire en sorte qu’on vivra des changements dans notre désir. À moins que cela ne cause de la souffrance et un malaise au point d’aller consulter, c’est tout à fait normal.
Croyance #2 : les hommes ont plus de désir que les femmes et les femmes sont moins intéressées par la sexualité
C’est faux! Le désir ne se définit pas selon le genre : c’est relatif à chaque personne. De plus, cela met une pression énorme sur les épaules des hommes, car on attend de ceux-ci qu’ils soient ultras performants en tout temps et que leur envie sexuelle s’allume sur demande. Et si l’on suppose que les femmes sont moins intéressées par le sexe, on va alors considérer comme normal le fait que les hommes doivent leur « soutirer » de la sexualité. Ceci peut mener à des dérives assez problématiques.
De un, ça encourage à ne pas demander le consentement parce que, « on le sait, les femmes aiment moins le sexe que les hommes, alors elles sont peu réactives de toute façon ». De deux, comme on a beaucoup éduqué les garçons à être entreprenants et avec l’idée qu’ils sont pleins d’hormones à évacuer (on se rappelle de la crainte des blue balls qui perdure encore!), il n’est pas étonnant de voir des femmes se faire « tordre le bras » pour répondre à leurs besoins. Les différentes vagues de #MeToo sont une preuve accablante…
Croyance #3 : les préliminaires constituent une étape obligée de la sexualité
Le mot préliminaire vient du latin praeliminaris et fait référence à un élément « Qui précède et prépare une autre chose considérée comme plus importante ou principale; qui sert d’introduction, d’entrée en matière à quelque chose. » Selon cette définition et notre vision de ce qu’est la sexualité, cela veut dire qu’avant la pénétration (souvent entendue d’un pénis dans un vagin), il ne s’agit pas vraiment de sexualité, mais plus de petits hors-d’œuvre à déguster avant le plat principal. Cette équation est un peu triste, car lorsque l’on se rappelle que la pénétration dure en moyenne 5.4 minutes, ça veut dire qu’on passe bien peu de temps à avoir du sexe, mais énormément à se préparer pour en faire!
En fait, cela enlève la légitimité de tout geste sexuel qui n’est pas pénétratif. On revient en arrière en mettant encore et encore l’emphase sur une seule sexualité « valide » qui est hétéronormative et procréative. C’est un cadre très rigide qui, de plus, encourage le mythe de la virginité. En effet, même de nos jours, on parlera encore de la fameuse première fois comme d’une initiation à la pénétration. Alors que, pourtant, des tas de gestes sexuels sont faits avant et peuvent être tout aussi – voire plus! – satisfaisants qu’un coït tel qu’on l’entend.
Croyance #4 : la pénétration est LA base de la sexualité
Quand on mise tout sur la pénétration, ça veut aussi dire qu’on ne s’adresse qu’aux gens avec des pénis fonctionnels, qu’aux jeunes, qu’aux personnes sans problèmes de santé et sans problèmes érectiles, qu’aux personnes sans handicap qui atteint le bas du corps, qu’aux personnes capables de pénétrer. On oublie aussi toute la diversité des organes génitaux qui existent et qui peuvent être stimulés autrement que par une pénétration.
En plus, l’injonction à la pénétration crée un double standard; les femmes peuvent et doivent être pénétrées, mais surtout pas les hommes! Et ce, malgré le fait que la prostate est une zone érogène hyper sensible chez les hommes. Ce qui nous ramène à notre croyance #2, car la personne pénétrante est considérée comme active, alors que la personne pénétrée serait passive. Rappelons-nous aussi que la pénétration n’est vraiment pas le meilleur moyen d’obtenir un orgasme pour les personnes avec un vagin. Si 95% des hommes ont des orgasmes lors d’une relation sexuelle pénétrative, chez les femmes, c’est seulement 65%.
Croyance #5 : on doit savoir comment fonctionne son.sa.ses partenaire.s dès le départ
Chaque personne est différente et chaque relation sexuelle est unique. Il n’y a pas de one size fits all dans ce domaine. Lorsque l’on vit une sexualité avec un nouveau ou une nouvelle partenaire, on réapprend un peu chaque fois. Et, surtout, on s’ajuste. De là l’importance d’une bonne communication. Même au sein d’un couple qui se connaît depuis des années, les gestes sexuels peuvent changer. Ça ira selon l’humeur, la fatigue, le niveau de désir, l’état de santé, etc. Et cela va évoluer toute la vie, puisqu’on change, tant du corps que de l’esprit.
Cette croyance perpétue aussi l’idée que le consentement est une forme de « tue-l’amour ». En effet, si l’on croit qu’il existe un mode d’emploi ou, encore, qu’on doit découvrir l’Autre à travers une aura de mystère, il y a fort à parier que le plaisir ne sera pas au rendez-vous. Arrêtons d’essayer de se deviner et communiquons; c’est la base.
Croyance #6 : le consentement va de soi dans un couple
Que vous soyez en couple depuis 1 mois ou vingt ans, le principe est le même: le consentement est à valider. Votre partenaire ou vos partenaires ne vous appartiennent pas et ne sont pas à votre disposition quand bon vous semble. Oui, vous êtes en couple, mais ça ne veut pas dire que la sexualité est un dû. Et, contrairement à ce que l’on a longtemps vu dans les comédies romantiques, la jalousie et la possession ne sont pas des signes d’amour et céder sous pression ne constitue pas un consentement.
Lorsque l’on insiste et qu’on force une personne à avoir une relation sexuelle, on appelle cela la coercition sexuelle. Selon la psychologue Raphaëlle Paradis-Lavallée, dans son mémoire doctoral (2020), la coercition sexuelle « est un grave problème de santé publique ayant d’importantes conséquences chez les victimes et touchant jusqu’à un couple sur deux au Québec. » On sait d’ailleurs que ces violences ont augmenté pendant la pandémie, ceci étant lié à l’augmentation du stress.
Mythe après mythe, la sexualité est triste
Ces mythes ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. On pourrait également citer aussi ces autres croyances en rafale :
- L’orgasme est la finalité de la relation sexuelle. C’est faux; on peut avoir une relation sexuelle très satisfaisante sans orgasme. En plus, ça crée de l’anxiété de performance. Ah et, aussi, pas besoin d’avoir un orgasme simultané avec votre partenaire; chacun.e a son rythme.
- Les jouets sexuels sont surtout à utiliser en solo. Eh non. Ça peut aussi être utilisé en couple, en trouple, en groupe. Et, non, ils ne sont pas une menace à la virilité masculine;
- La monogamie est la seule voie acceptable. Encore là, c’est faux. Il existe 1001 configurations amoureuses. Tant que celle qui vous convient vous rend heureux.se et qu’elle est vécue dans le respect, it’s all good!
- La sexualité doit rimer avec amour. Que nenni! La sexualité est avant tout pour le plaisir et pour tout plein d’autres raisons qui vous regardent. Cela inclut l’amour… ou pas.
En somme, ces croyances occupent une place importante dans notre société et au cœur de nos ébats. Mais, pour avoir une sexualité plus fluide, plus agréable et moins stressante, elles sont définitivement à mettre au rancart.