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Est-ce que la pandémie a transformé nos standards de beauté ?

Une chronique pour Moteur de recherche dans laquelle je me penche sur les standards de beauté en temps de pandémie.

Dans la dernière année, nous sommes nombreux.ses à être restées plantées devant un écran pour travailler via Zoom, Teams et cie. La pandémie a amené des changements majeurs dans le monde du travail. Mais les habitudes de vie en ont aussi pris un coup. Combien de fois a-t-on entendu des blagues de linge mou pendant les Zoom ? Disons que le casual day que proposent certaines compagnies s’est étalé sur… pas mal tous les jours de la semaine.

Cela dit, en dehors des vêtements plus « relaxes », y’a-t-il eu des changements majeurs dans notre façon de juger les apparences ? Est-on plus clément.es envers nos silhouettes peut-être arrondies, nos cernes, nos repousses capillaires ? Ou, au contraire, a-t-on plus que jamais conscience de nos petits (et grands) défauts? Plusieurs éléments ressortent de façon assez flagrante dès qu’on s’intéresse moindrement à nos routines pandémiques. Il y a d’abord le maquillage et les soins de peau; les fesses; le poids; la pilosité, les seins et, finalement, l’identité et l’expression de genre

Miroir, miroir… 

Lorsque j’ai posé la question autour de moi, on m’a rapidement parlé de maquillage. D’un côté, il y a les personnes qui l’ont carrément abandonné ou l’utilisent très peu. De l’autre, celles qui explorent plus que jamais avec ces produits et/ou désirent camoufler des éléments qui les agacent, depuis que Zoom leur met en plein visage. Dans l’étude « How COVID-19 is changing the world of beauty », réalisée par la firme de marketing McKinsey & Company, on fait état de grandes transformations dans le monde des produits de beauté. 

Sephora US a enregistré une hausse des ventes en ligne de 30% par rapport à 2019. Même chose chez Amazon. Par contre, un grand nombre de points de vente physiques de produits haut de gamme ont été fermés. On estime que cela correspond à environ 30% de l’industrie de la beauté qui s’est éteinte. Cependant, les ventes ont explosé du côté des produits de soins pour la peau, capillaires et différents produits de bain. Ceci est dû, entre autres, à une explosion des « skinfluenceurs ». 

Des skinfluenceurs au skinimalism

L’expression vient de la contraction des mots « skin » (peau) et « influenceurs ». Ces personnes utilisent des réseaux sociaux comme YouTube, Instagram et Tik Tok et réussissent à se construire une importante audience et influencent les gens qui les suivent. C’est qu’il y a tout un monde à investir du côté des cosmétiques; les routines beauté pullulent sur le Web. On a même vu la représentante démocrate américaine Alexandria Ocasio-Cortez se prêter au jeu de la « skincare routine » pour Vogue. C’est tout dire. The Walrus rapporte d’ailleurs que « 40% des consommateurs.trices de produits de soins pour la peau en utilisent plus fréquemment maintenant qu’en 2019 et 22% des femmes affirment que la pandémie a fait en sorte que leur routine beauté s’est allongée.» (traduction libre) 

Mais à quoi cela est-il dû? Selon le Journal of Cosmetic Dermatology, « Internet a gagné en importance comme source d’information sur la cosmétologie et est devenu un marché florissant pour les produits cosmétiques. » On revient donc aux « skinfluenceur.es ». Mais on doit aussi nommer Zoom qui nous a plus que jamais confrontés à notre propre image.

Dans The Walrus toujours, Marc Lafrance, prof à Concordia et spécialiste de Didier Anzieu – un psychiatre qui s’est grandement intéressé à notre rapport à la peau – explique : « La pandémie est une manifestation très littérale de la façon dont la peau sert d’interface entre soi et le monde. C’est une interface fragile et très vulnérable qui a besoin de beaucoup d’attention. » Plusieurs personnes m’ont d’ailleurs rapporté cela : les Zoom et consorts amènent une conscience aiguë de soi. Ajoutons aussi que les compagnies de cosmétiques martèlent le discours du self-care. On se sent donc peut-être poussé.es à essayer de prendre soin de soi à coup d’exfoliants et de crèmes hydratantes.

Cela dit, de nombreux magazines comme Shape et InStyle annoncent déjà que la tendance lourde en 2021 est le skinimalism. C’est-à-dire réduire au minimum l’achat de produits pour la peau. On souhaite ainsi briser une tendance maximaliste qui fait circuler l’idée que «plus, c’est mieux » pour embrasser un mode de vie plus minimaliste et, également, plus écologique. Et, sinon, les tatouages ont eu la cote pendant la dernière année, question, pour certain.es, d’immortaliser ce moment ou se rappeler les êtres chers qui n’ont pas survécu. 

De la face… aux fesses! 

Quand on parle de standards de beauté, même pendant la pandémie, difficile de passer à côté de la chirurgie esthétique. L’American Society of Plastic Surgeon affirme qu’en 2020, il y a eu une baisse importante des procédures chirurgicales invasives et non invasives. De nombreuses cliniques ont dû fermer leurs portes et, de plus, les déplacements étaient interdits; ceci explique cela. Par contre, on peut voir une augmentation importante (22%) des implants fessiers. Peut-on encore blâmer Zoom ? Eh bien, en partie.

C’est que beaucoup de gens ont été assis de longues heures devant leurs différents écrans. Ils ont souvent délaissé sport, entraînement, yoga et compagnie, parce que la motivation n’y était pas. Instagram n’est pas en reste. En effet, la plateforme fait un fréquent étalage de corps idéalisés et, particulièrement, de fessiers fermes et rebondis. Comme le fameux brazilian butt lift, l’une des chirurgies les plus populaires au monde, malgré les risques importants qu’elle comporte. Une autre hypothèse : OnlyFans. La plateforme a connu un énorme succès pendant le confinement et des tas de gens « ordinaires » se sont lancés dans la production de contenus pour adultes. Ce n’est pas surprenant. Cela peut être tentant d’obtenir de très bons revenus en créant son propre contenu, simplement en utilisant son corps. Pas étonnant qu’on veuille investir pour le rendre plus attrayant et conforme à certains standards de beauté; ça vend! 

Faire pencher la balance

On parlait plus tôt d’un mode de vie résolument plus sédentaire dans les derniers mois. Sans surprise, cela a aussi un impact sur le poids. Une récente étude américaine, dans laquelle on a suivi 269 personnes sur une période de 5 mois afin de prendre leurs mensurations, démontre une prise de poids, avec en moyenne, 1.5 livre par mois. Selon l’American Psychological Association, c’est environ 61% des Américain.es qui ont connu des changements de poids non désirés. Ceci s’explique, entre autres, par un mécanisme d’adaptation – la nourriture – pour gérer le stress et l’anxiété créés par la pandémie. Ainsi, les habitudes alimentaires ont changé et il y a eu une augmentation de la consommation d’alcool. Les gyms ont aussi été fermés.

Est-ce que cela nous a rendu plus acceptant.es envers nos corps ? Eh bien, comme pour tout, ça dépend des gens. Mais plusieurs personnes ont indiqué être mal à l’aise face à ce gain de poids. Le New York Times rapporte qu’une étude, réalisée par David Frederick, professeur associé en psychologie de la santé à la Chapman University, fait le constat que « 48% des répondantes ont dit que [la pandémie] a amené des sentiments négatifs à propos de leur poids. » Et lorsque des hommes et des femmes* ont été interrogés sur leur sentiment général d’attractivité, 43% des femmes et 26% des hommes disent que la COVID-19 l’a affecté négativement. Encore là, les chiffres nous indiquent bien que ce sont surtout les personnes qui s’identifient comme femmes qui ressentent souvent la pression de correspondre à certains critères de beauté, dont la minceur. 

*J’utilise les termes employés dans l’étude.

À poil!    

Dans ma précédente chronique, je vous parlais de poils et comment ceux-ci peuvent avoir une utilité dans la sexualité. Eh bien, il faut savoir que la pilosité a aussi été à l’honneur pendant les mois de pandémie. Effectivement, beaucoup de gens ont délaissé rasoirs et ciseaux pour embrasser des looks plus naturels. On a pu voir beaucoup plus de cheveux gris et de cheveux bruns. Certaines couleurs ou traitements se font aux salons de coiffure qui, pour la plupart, ont fermé pendant un bon moment. Si on le fait maison, c’est beaucoup plus d’entretien. On a aussi pu voir de longues crinières, particulièrement chez les personnes s’identifiant comme hommes. Le man’s bun a aussi continué son petit bonhomme de chemin. Les shampoings ont aussi connu une baisse des ventes; il semble qu’on s’est beaucoup moins lavé les cheveux! 

Les aisselles poilues ont continué d’apparaître, tant sur les réseaux sociaux que sur des couvertures de magazines comme Glamour UK. Selon une étude anglaise de l’application Cosmetify, c’est 45% des femmes* qui ont stoppé l’achat de produits d’épilation. Encore une fois, les salons d’esthétique étant fermés, l’absence de socialisation, mais aussi le frein mis sur le casual sex et les rencontres sexuelles, ont pu faire en sorte que l’intérêt pour le rasage en a pris un coup. Les gens ont pu aussi avoir l’occasion de simplement apprécier leur corps nu plus velu. 

Vive le sein libre!  

C’est aussi parmi les éléments qui ont été marquants pendant la pandémie; le mouvement No bra prend de l’ampleur. Le télétravail a permis à plusieurs d’expérimenter le sein libre sans regard indiscret. En effet, nombreuses sont les personnes avec des seins qui n’osent pas sortir de chez elles sans soutien-gorge. Par conscience professionnelle, par gêne, par inquiétude du jugement d’autrui. C’est que le sein féminin, contrairement au sein masculin, est sexualisé. Quand on entrevoit un sein et, pire, un mamelon, il semble qu’on ne sait pas trop quoi faire avec cela. Ainsi, dans le confort de leur maison, elles ont été nombreuses à expérimenter le no bra ou la brassière de sport, plus confortable. Cela dit, est-ce que les ventes ont décliné? Que nenni!

Les consommateurs.trices continuent d’acheter ces produits, rapporte le New York Times. Par contre, la clientèle demande plus d’options; du confort, une plus grande variété dans les tailles, des modèles neutres pour les personnes non binaires et/ou fluides dans le genre, etc. La bralette – un vêtement qui n’a ni armatures ni bonnets, situé entre la brassière de base et la lingerie sexy – est également très populaire. Donc, l’abandon total du soutien-gorge n’est pas encore là, mais il y a un changement de mentalité vers un besoin de bien-être corporel qui fait qu’on s’éloigne des cerceaux qui s’enfoncent dans la peau, par exemple, et on mise sur des modèles mieux adaptés et confortables. 

L’exploration de soi 

D’ailleurs, si une demande pour des sous-vêtements non genrés augmente, c’est que plusieurs personnes, pendant la pandémie, ont eu l’occasion d’explorer plus avant leur identité et leur expression de genre. Pour rappel, l’identité de genre, c’est le fait de s’identifier à un genre féminin, masculin, aux deux, à aucun des deux, à un genre non binaire, fluide et/ou encore, à aucun genre précis. Quant à l’expression de genre, c’est que, peu importe son sexe, on explore son identité de genre, qu’elle soit féminine, masculine, les deux, aucune des deux ou autre, via son habillement, son maquillage, son langage et/ou son agir en société.

Le fait d’être confiné a pu permettre à certaines personnes d’expérimenter des choses, que ce soit par le port de vêtements, de prothèses (ex.: un modèle pénien pour un homme trans, par exemple, qui peut être porté sous les sous-vêtements pour avoir la sensation d’avoir un pénis), de poils (ex.: laisser pousser le poil sur ses jambes), de maquillage, etc.

La distanciation a pu créer un safe space bénéfique pour certain.es*, avant d’être confronté.es au regard des autres et à la socialisation en général. Pour d’autres, ce fut l’occasion de, justement, se présenter graduellement à leurs proches et collègues d’une façon différente et plus proche de ce qu’ils et elles sont. Ceci amène une diversité bénéfique dans nos regards formatés par des normes bien ancrées. Les choses changent.

*Je spécifie, car plusieurs personnes LGBTQ+ ont eu de grandes difficultés à obtenir de l’aide et du soutien pendant la pandémie qui les a beaucoup isolées. 

L’indulgence

De façon générale, on peut constater que des changements s’opèrent dans notre société et que de nouvelles réalités s’offrent à nous. Cela dit, poils pas poils, brassière ou non, tatouage ou cheveux longs, il reste que ce sont avant tout des choix personnels motivés par un moment de vie très particulier. Est-ce que ceux-ci vont perdurer dans le temps ? Difficile à dire. L’être humain est une bête d’habitudes; ça peut être rassurant de revenir à des rituels qui mettent une distance avec la pandémie. Ou qui nous font simplement du bien.

Mais j’ose croire qu’une prise de conscience s’est faite à propos de notre apparence et, surtout, nos attentes face à celle-ci. Et qu’on sera plus indulgent.es envers nous-mêmes et envers les autres. Que ce soit à propos de nos corps ou de nos réalisations sociales et professionnelles. Parce que, mine de rien, on arrive en fin de course d’une pandémie mondiale; je pense qu’on peut se donner un break

Photo de cottonbro provenant de Pexels

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