Vous avez peut-être entendu parler d’une loi qui est en phase d’être instaurée en Californie et qui touche les violences sexuelles. Si celle-ci est mise en place, ce sera une première aux États-Unis: la Californie sera le seul État à considérer le stealthing comme un crime au civil. Mais qu’est-ce que ça implique exactement et d’abord… c’est quoi le stealthing? Je vous offre quelques petites explications sur une tendance qu’on qualifie d’« immorale et illégale ».
Une pratique troublante
L’expression stealthing vient du mot stealth pour « furtif ». On utilise aussi le terme non-consensual condom removal, c’est-à-dire le retrait du condom sans consentement. C’est lorsque deux personnes ont une relation sexuelle consentie et sur laquelle il y a entente sur le port du condom. Par contre, la personne avec un pénis retire le préservatif pendant l’acte, sans aviser son.sa partenaire. De là le stealthing; c’est un retrait furtif et clandestin du condom.
C’est dans un article de 2017 d’Alexandra Brodsky paru dans le Columbia Journal of Gender and Law qu’on a mis ce phénomène en lumière. L’autrice raconte que l’expression s’utilise dans des groupes d’hommes hétérosexuels qui en discutent entre eux sur des forums en ligne comme reddit. Ils font l’apologie de cette pratique en manifestant leur « droit », en tant qu’homme, à « à se reproduire ». C’est d’ailleurs parmi les raisons qui poussent à pratiquer le stealthing. On retrouve là une logique de domination masculine et de la misogynie.
Les discussions analysées dans l’étude de Brodsky démontrent que les adeptes de la pratique justifient leur pulsion par l’idée d’un « instinct masculin naturel ». Une rhétorique de mâle suprématiste qu’on entend fréquemment chez la droite radicale américaine. On retrouve même des gens qui s’affirment comme « stealthers » sur ces réseaux et aussi des échanges des trucs pour arriver à pratiquer le stealthing sans se faire prendre. C’est une forme de contrôle et de pouvoir, parfois même de dégradation sur l’autre qui est simplement inacceptable.
Des communautés marginales
Bon à savoir; le mot stealthing, à l’origine, s’utilise dans un autre sens, et avec des répercussions différentes. Cela fait partie d’une pratique globale qui a émergé dans la communauté gaie et qu’on nomme le gift giving. Celle-ci englobe le generationing, c’est-à-dire le fait d’infecter volontairement une autre personne avec le VIH. Dans ce cas, la personne qui se fait infecter est consentante et avisée de ce fait. Et, de plus, les deux personnes infectées vont souvent s’organiser ensuite pour en infecter une troisième et ainsi de suite. On appelle aussi ces gens les gift givers et les bug chasers.
Le gift giving inclut également le stealthing. C’est le fait de transmettre volontairement le virus à une personne, mais cette fois, sans que cette dernière le sache et consente. Dans un article du Devoir paru en août 2020, on fait un portrait de ces pratiques qui seraient très marginales. On fait référence à une étude de 2020, intitulée « Wanting HIV Is ‘Such a Hot Choice’: Exploring Bugchasers’ Fluid Identities and Online Engagements ». Celle-ci conclut que la pratique se discute beaucoup en ligne, mais ça ne se traduit pas toujours dans la « vraie » vie. D’ailleurs, le docteur Réjean Thomas, fondateur de la clinique L’Actuel, se prononce également dans ce papier. Pour sa part, il indique qu’en 40 années de pratique, c’est quelque chose qu’il n’a à peu près jamais vu. De là l’importance de souligner le fait qu’il s’agit probablement d’une pratique très ciblée et, encore une fois, extrêmement marginale.
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Le stealthing et la loi
Le stealthing est actuellement la cible du projet de loi américaine AB-453, nommé « Sexual battery: non-consensual condom removal ». En résumé, on veut faire reconnaître l’acte comme « une agression sexuelle dans l’intention de provoquer un contact préjudiciable ou offensant […] avec une partie intime […] d’autrui qui entraîne directement ou indirectement un acte sexuel offensant. » (traduction libre) Comme le rapporte The Guardian, la loi, telle que proposée, permet « de modifier le Code civil pour permettre aux victimes de poursuivre en dommages et intérêts, sans toutefois modifier le Code pénal pour en faire un crime passible de prison. » (traduction libre) On indique aussi qu’il est rare qu’on poursuive quelqu’un pour stealthing, car il est difficile de prouver que la personne a agi intentionnellement.
Le Canada n’a pas de loi spécifique au stealthing. Cela dit, la pratique est tout de même criminalisée en la considérant comme un manquement au consentement. Par exemple, une personne consent à avoir une relation sexuelle avec un condom, mais l’autre personne le retire sans lui dire; ce n’est donc pas ce qui est entendu au départ. Le consentement devient alors non valide. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a tranché en faveur de la victime en 2014 dans l’affaire R v Hutchison. Le conjoint de cette dernière, ayant peur qu’elle le quitte, avait percé des trous dans des condoms avant d’avoir des relations sexuelles avec elle. Le but avoué était de la faire tomber enceinte afin qu’elle reste avec lui.
Un autre cas de stealthing est d’ailleurs en cours à la Cour Suprême du Canada, celui-ci déposé par une femme de la Colombie-Britannique. Cette dernière a discuté avec plus de sept différents policiers avant qu’on prenne son cas au sérieux. C’est justement l’un des gros problèmes avec cette pratique dangereuse; les forces policières ne sont pas formées pour recevoir ce type de plainte. De plus, les agent.es sont confus.es; les relations sexuelles sont consenties à la base, donc où est le problème?
Les implications du stealthing
Eh bien, il y a plusieurs (très) gros problèmes avec le stealthing. Dans une étude réalisée en 2019 sur un échantillon canadien de 671 participant.es et qui porte sur les perceptions, les résultantes et le contexte légal entourant le stealthing, la majorité perçoit cette pratique comme négative et dommageable. Plusieurs personnes rapportent avoir contracté une ITSS ou vécu une grossesse non désirée, parfois même les deux. En effet, ces éléments ont des conséquences importantes pour les personnes touchées.
D’abord, si on a des relations sexuelles avec un condom, c’est pour se protéger. Si notre partenaire le retire, il n’y a plus de protection; c’est une porte ouverte aux infections transmissibles sexuellement. De plus, admettons qu’il y a de l’alcool impliqué et que la personne ne réalise pas qu’elle a été en contact direct avec des fluides corporels comme le sperme. Il y a un risque qu’elle ne se fasse pas dépister et, même, d’infecter d’autres personnes. On sait d’ailleurs que plusieurs ITS, comme la chlamydia, sont asymptomatiques chez une majorité de gens. Si la personne se croit protégée, elle risque de passer plus de temps avec l’ITS dans son corps sans s’en rendre compte. Cela peut avoir des impacts importants sur sa santé et ça peut même mener à l’infertilité.
De plus, de nombreuses personnes utilisent le condom comme contraceptif. Si on le retire, il y a un risque accru d’avoir une grossesse non désirée chez les personnes avec un utérus. À ce sujet et concernant l’affaire R v Hutchison discutée plus tôt, on peut souligner qu’il s’agit aussi d’un cas de coercition reproductive. C’est-à-dire un comportement « qui interfère[…] avec la contraception et la planification des naissances et rédui[t] l’autonomie des femmes » comme l’indique Sylvie Lévesque, professeure au département de sexologie dans une entrevue accordée à Actualités UQAM. C’est une autre forme de violence sexuelle que le stealthing peut permettre.
Une question de respect
Un autre élément dont on a parlé plus tôt est le consentement; il est primordial. Pour rappel, il doit être libre, enthousiaste, continu et éclairé. Dans ce cas-ci, la portion « éclairé » manque à l’appel. En effet, la relation sexuelle est consentie AVEC un condom, pas sans. Cela mène à un abus de confiance. Si on s’est entendu.e avec son.sa partenaire sur le port du préservatif, on est en droit de s’attendre à ce que ce dernier ou cette dernière respecte cet accord. C’est une question de respect et de morale.
Le stealthing est une pratique malsaine qui doit être dénoncée. Elle a des impacts majeurs sur les personnes qui en sont victimes et peut créer énormément de stress et d’anxiété. C’est un geste profondément égoïste qui constitue une prise de pouvoir sur l’autre. Et puisqu’on en parle, c’est l’occasion idéale de se rappeler de ceci: soyons civilisé.es et conscient.es. Parce que la base d’une relation sexuelle devrait reposer sur le respect, le partage et la communication. Pas sur le mensonge et l’égocentrisme.
Photo de Towfiqu barbhuiya via Unsplash