On a reçu la question suivante d’un auditeur :
« J’ai eu le VPH à l’anus. J’ai demandé un test à ma gastro-entérologue et aux infirmières de ma clinique spécialisée dans la santé sexuelle des HARSAH*. Personne ne semblait s’être posé la question à savoir si le VPH posait un risque particulier pour eux. Elles ont dit que ce n’était pas une pratique recommandée pour le moment. Est-ce que l’absence de test de routine est une conséquence d’une vision de la sexualité centrée sur l’hétérosexualité? Où seules les femmes sont censées se faire pénétrer, et ce, dans le vagin uniquement? »
*HARSAH : hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes
Mieux comprendre la santé sexuelle LGBTQ+
On a souvent discuté à l’émission du fait que l’hétéronormativité dans la sexualité amène son lot d’angles morts. De plus, cela crée une hiérarchisation des pratiques et des orientations sexuelles. Comme la relation sexuelle « par défaut » est conçue comme étant celle d’un homme et une femme cisgenres qui pratiquent la pénétration, on oublie qu’il existe bien d’autres réalités tout aussi importantes. Cela crée des problématiques au sein même des relations hétéronormatives; pensons au fossé orgasmique entre les hommes et les femmes. Celui-ci se crée, entre autres, par une injonction à la pénétration. Cela représente, pour beaucoup de personnes encore, le cœur d’une relation sexuelle. Et ce, même s’il existe 1001 pratiques qui peuvent être tout aussi – sinon plus – satisfaisantes.
Notre auditeur met toutefois ici le doigt sur un élément important : notre société est basée sur l’hétéronormativité et la cisnormativité. C’est-à-dire qu’on tient pour acquis que les gens sont d’emblée hétérosexuels et cisgenres. On entend donc moins parler des réalités qui sortent de ce cadre. Cela crée des enjeux importants en santé sexuelle, particulièrement pour les populations LGBTQ+. Elles sont mises de côté, voire carrément oubliées. Je propose de lever nos œillères collectives sur ces réalités qui touchent particulièrement les personnes issues de groupes minorisés LGBTQ+.
Briser les idées figées à propos de la sexualité
Prenons l’exemple de notre auditeur avec les HARSAH. La terminologie HARSAH représente avant tout une catégorie épidémiologique qui ne tient pas compte des diverses réalités qu’elle regroupe. Mais on l’utilise pour sensibiliser aux réalités des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. On pense d’emblée aux homosexuels ou aux bisexuels, mais cela représente aussi des gens qui ne s’identifient à aucune de ces orientations sexuelles. Ils ont toutefois des relations sexuelles avec des hommes. Ainsi, un homme peut se dire hétérosexuel, mais élargir ses explorations sexuelles aux hommes/personnes avec un pénis. Bref, on ne peut tenir pour acquis qu’il n’a pas de pratiques qui sortent du cadre hétéronormatif.
Comme notre auditeur le souligne, on pense qu’un homme n’a pas de pratiques où il est pénétré analement. J’en discutais d’ailleurs en début d’année en parlant du pegging (ou chevillage); la masculinité est associée à l’acte de pénétrer et non l’inverse. Pourtant, de nombreux hommes ont des pratiques dans lesquelles ils reçoivent une pénétration – que ce soit avec un pénis, un jouet sexuel, des doigts, etc. Et cela n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle. Ainsi, dans une évaluation en santé sexuelle, si on reste avec une idée figée de la sexualité – l’homme qui pénètre et la femme qui reçoit la pénétration – on passe à côté de scénarios possibles qui permettent de mieux comprendre la sexualité de la personne en face de nous.
Des sexualités jugées et mal comprises
Cela se voit également dans la façon d’envisager la sexualité des FARSAF. Autre catégorie épidémiologique, elle inclut les femmes qui ont des relations sexuelles avec des femmes. Et, il faut le dire; les femmes LGBTQ+ sont souvent les grandes oubliées de la santé sexuelle. Et l’acte pénétratif dont on vient de discuter n’est pas étranger à cela. En effet, un mythe tenace à leur sujet perdure; comme on croit qu’elles n’ont pas de relations sexuelles avec des hommes, on estime qu’il n’y a pas de danger de contracter quoi que ce soit et donc, inutile de se protéger. Mais rien n’est plus faux. D’abord, certaines d’entre elles peuvent avoir des relations sexuelles avec des hommes/une personne avec un pénis et dans leurs échanges intimes avec des femmes, elles font aussi face à des enjeux de santé sexuelle, comme n’importe qui.
Selon la clinique L’Actuel, on sait que les FARSAF se font moins dépister et sont plus à risque de contracter le VPH et que « certaines souches de VPH augmentent le risque de progression vers le cancer du col de l’utérus. » Selon une chronique des chercheures en sexologie Dion et Boilard sur le site Les 3 sex, bien que peu d’études existent sur la sexualité des FARSAF, on constate « qu’elles commencent leur vie sexuelle plus jeunes et rapportent un nombre plus élevé de partenaires sexuel-le-s que leurs paires hétérosexuelles ».
Ainsi, contrairement à la croyance qui stipule que leur sexualité est sans risque, elles ne sont absolument pas à l’abri des ITSS et/ou d’autres problèmes de santé. Elles peuvent également vouloir une méthode contraceptive. Que ce soit pour gérer les règles, traiter l’acné ou éviter une grossesse non désirée, au cas où il y a une relation sexuelle avec une personne avec un pénis. Et si elles n’en veulent pas, inutile de les forcer.
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Une grande méconnaissance de la santé sexuelle LGBTQ+
Si l’on peut blâmer l’hétéronormativité, la cisnormativité n’est pas en reste. Comme on s’attend à ce que toute personne soit cisgenre, c’est-à-dire dont l’identité correspond au sexe assigné à la naissance, cela crée des obstacles majeurs pour les personnes trans et non binaires. En raison d’une trop grande ignorance de leurs réalités, celles-ci vont se retrouver devant des situations complexes qui mettent en péril leur santé mentale, physique et sexuelle. Par exemple, de nombreuses personnes trans et non binaires se feront mégenrer. La personne soignante peut, par exemple, utiliser soit le mauvais pronom ou le morinom (aussi appelé deadname, c’est le prénom utilisé avant la transition).
Il y a aussi des enjeux importants face à la contraception. Par exemple, un homme trans peut consulter en gynécologie pour obtenir une contraception afin d’éviter une grossesse non désirée et/ou gérer les menstruations. Si les donneurs/donneuses de soins ne sont pas au fait de ces réalités, il y a de fortes chances que la personne soit mal reçue/traitée.
On pense aussi aux personnes intersexes qui, dans de nombreux cas, se confrontent à une médecine intrusive, voire carrément à des violences médicales. La sociologue et professeure à l’UQAM, Janik Bastien-Charlebois, aborde cette question dans son papier Les sujets intersexes peuvent-ils (se) penser? Les empiètements de l’injustice épistémique sur le processus de subjectivation politique des personnes intersex(ué)es (2017). Elle explique que, historiquement, la médecine « demeure la seule institution à maintenir une connaissance de la variété des corps sexués », dont les personnes intersexes qui seront longtemps nommées hermaphrodites – un terme qui ne devrait plus être utilisé de nos jours – et considérées comme des corps à « corriger » face à la norme des corps binaires que mettra de l’avant l’institution médicale.
Pour une médecine plus humaine et LGBTQ+ friendly
Plusieurs soignant.es sont réticent.e.s face aux demandes de soins des personnes LGBTQ+ et ce, pour plusieurs raisons. Il y a beaucoup de préjugés, de jugements de valeur, de crainte de ne pas savoir comment les aider, de ne pas savoir comment s’adresser à elleux, et
Cette différence de traitement entre les personnes LGBTQ+ et cishétéronormatives vient, entre autres, d’un manque flagrant de connaissances de ces populations et leurs diverses réalités. Ceci provient d’une longue tradition de pathologisation de certaines sexualités et identités dans le monde médical. On l’a vu pour les personnes intersexes, mais on peut aussi penser à l’homosexualité qui, jusqu’en 1973, faisait partie des troubles colligés par le fameux DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), qu’on rebaptise souvent « la bible des psychiatres ». C’est le cas pour la dysphorie de genre, toujours citée dans le manuel actuel, le DSM-5, comme un trouble mental.
Des solutions ciblées pour la santé sexuelle LGBTQ+…
En avril 2021, un groupe de chercheurs et chercheuses a fait paraître, dans le Canadian Medical Association Journal, un article intitulé « Arguments en faveur d’une norme canadienne pour l’intégration des enjeux 2SLGBTQIA+ dans les études de médecine ». Ce papier aborde les nombreuses difficultés rencontrées par les personnes issues de la diversité sexuelle. Le constat? Des « résultats de santé disproportionnellement inférieurs à ceux du reste de la population ». De nombreuses personnes issues de ces communautés préfèrent s’abstenir de se faire dépister et soigner pour éviter la stigmatisation. L’analyse effectuée par l’équipe de recherche adresse les nombreuses lacunes du système de santé canadien face aux personnes LGBTQ+. Elle offre aussi des pistes de solution pour améliorer la situation.
De plus en plus de personnes LGBTQ+ prennent parole pour dénoncer des soins de santé déshumanisants, ce dont fait état un article de La Presse paru en août 2021. Des patient.e.s partagent les questions et commentaires désobligeants et inacceptables reçus lors de consultations. On pense aux associations extrêmement problématiques entre homosexualité et pédophilie ou à l’incrédulité devant une femme qui se dit active sexuellement avec des femmes, comme si une sexualité active n’est possible qu’avec des hommes…
…mais encore des obstacles à surmonter
Tout ceci concourt à créer ce qu’on nomme les obstacles systémiques, c’est-à-dire des barrières rencontrées par certains groupes (souvent minorisés) qui se retrouvent devant « des systèmes, des politiques, des pratiques ou des procédures » qui peuvent les freiner et, même, les exclure. D’ailleurs, le Centre de recherche communautaire (CBRC), qui fait la promotion de la santé sexuelle chez les populations GBT2Q (gais, bisexuels, trans, bispirituels et queer), a lancé l’été dernier, dans le cadre de son projet Sexe au présent, son étude annuelle sur l’autodépistage du VIH. Comme le rapporte le magazine L’Actualité, le but est de voir si le fait de distribuer des tests d’autodépistage permet de réduire les obstacles au dépistage, comme le simple accès aux soins, mais également la discrimination envers ces groupes qui est bien présente.
Finalement, pour faciliter la mise en place de soins inclusifs, la sexologie mise de plus en plus sur une approche anti-oppressive et transsafirmative. Les sexologues sont dorénavant formé.e.s pour appuyer ces populations. Cela permet d’offrir des services et suivis soucieux des réalités des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre. C’est déjà un pas vers l’avant.
Photo de Mikhail Nilov provenant de Pexels