Si l’on fait un bilan des transformations qu’ont vécu nos sexualités entre 2019 et 2024, que peut-on en dire ? Sont-elles plus libérées ? Moins taboues ? A-t-on plus d’ouverture envers les sexualités plus marginales ? J’ai eu envie de faire un tour d’horizon de la question. Je propose de jeter un coup d’œil à cinq éléments qui ont transformé notre façon de vivre les sexualités.
1. La pandémie
Celle-ci a transformé nos vies. Et, conséquemment, nos sexualités. Les effets se sont fait sentir dans différentes sphères intimes. Voici quelques exemples :
- De nombreux couples sous le même toit ont eu à réapprendre à s’érotiser après avoir passé 24h sur 24 dans un même espace;
- La COVID-19 a amené des facteurs négatifs importants sur la sexualité. Par exemple, la perte d’emploi, la détresse psychologique, le manque d’espace privé et la trop grande quantité d’informations offertes sur le virus ont pu rendre le quotidien lourd. Cela a pu aussi contribuer à l’augmentation du sentiment de détresse;
- Il y a eu une hausse des pratiques masturbatoires, ce qui nous mène au point suivant;
- L’achat de jouets sexuelsi a explosé pendant la pandémie. Dans une recension des écrits publiée en 2022 dans la revue Sexologies, dans laquelle on a analysé 45 études différentes, on rapporte que « les ventes de jouets sexuels ont doublé en Australie, en Colombie, au Danemark et au Royaume-Uni, et ont triplé en Nouvelle-Zélande ». On estime aussi que les circonstances pandémiques ont changé la façon de vivre la sexualité. Cela aurait, entre autres, encouragé des personnes qui n’étaient pas utilisatrices de jouets sexuels à commencer à en utiliser;
- On a pu aussi voir un désenchantement face à la hookup culture (ou culture du sexe dans lendemain). Plusieurs personnes se sont mises à vouloir des relations plus significatives. À l’opposé, d’autres ont embrassé le célibat et l’abstinence consciente, c’est-à-dire se donner le droit de ne pas voir la sexualité comme une obligation.
2. Les différentes vagues du mouvement #MeToo
Impossible de passer sous silence l’impact immense qu’ont eu ces différents mouvements sur la société. Cela dit, il reste encore bien du travail à faire. Parmi les résultantes de ces prises de parole massives, on peut penser à :
- La forte augmentation des dénonciations de violences à caractère sexuel aux autorités policières. Plus de gens sont sensibilisés à ce qui est considéré comme des violences à caractère sexuel et à ce qu’est le consentement. Ils sont aussi sensibles au fait que de nombreux comportements – jadis tolérés – sont dorénavant inacceptables. Le corps policier est probablement aussi plus sensibilisé à l’intervention auprès des victimes de violences à caractère sexuel;
- Il y a globalement une moins grande tolérance envers les comportements sexistes, entre autres dans les milieux de travail. Diverses formations ont été proposées pour sensibiliser la population aux comportements problématiques;
- Il y a eu la mise en place du Plan d’action pour prévenir et contrer les violences à caractère sexuel en enseignement supérieur. Ceci a mené à l’instauration de guichets uniques dans les cégeps, collèges et universités. Ils servent à rassembler les services offerts aux étudiant.e.s qui souhaitent être entendu.e.s, soutenu.e.s, accompagné.e.s face à une situation de violence à caractère sexuel;
- En décembre 2020, il y a eu le dépôt du rapport Rebâtir la confiance. Il contient 190 recommandations d’expert.e.s pour mieux accompagner les victimes de violences à caractère sexuel et de violence conjugale;
- Pour plusieurs femmes et personnes féminines, la confiance envers les hommes/personnes masculines a pu s’effriter. Inversement, plusieurs hommes et personnes masculines se demandent comment naviguer leur masculinité.
3. Les configurations relationnelles
Dans les dernières années, on a pu voir une remise en question du couple monogame. Pour de nombreuses personnes, cette formule ne répond pas ou plus à leurs attentes. On a constaté une résurgence de modes relationnels plus ouverts et permissifs. Ceux-ci se classent sous le grand parapluie de la la non-monogamie.
- On voit plus fréquemment des couples se questionner sur l’ouverture possible de leur relation – le couple ouvert. Cela se fait pour diverses raisons. Une envie de renouveau, des difficultés à revenir à la sexualité des débuts, la volonté d’explorer d’autres facettes de sa sexualité, la curiosité, etc.
- Il y aussi un regain d’intérêt pour le polyamour. Les personnes qui s’y intéressent ou le vivent disent souvent qu’une seule personne ne peut combler tous les besoins d’une l’autre. Ainsi, il y a possibilité de transposer les besoins et attentes relationnels sur d’autres épaules. La monogamie comme mode de vie imposé par des impératifs religieux, politiques, socio-culturels, etc. est mise à mal. Certaines personnes voient la non-monogamie comme un geste politique;
- On constate une revalorisation des amitiés. Face aux relations amoureuses, elles sont souvent perçues de second ordre. Pourtant, elles apportent énormément et contribuent notamment à la santé et au bien-être personnel.
4. L’influence des plateformes sociales
Les plateformes sociales prennent énormément de place dans nos vies. Il n’est donc pas étonnant qu’elles aient aussi une influence directe sur nos sexualités. Dans les dernières années, elles ont fait énormément jaser et donné l’occasion d’ouvrir le dialogue à propos de sujets touchant de près ou de loin les sexualités. Par exemple, on a pu voir que :
- Feu Twitter, dorénavant X a servi à libérer la parole et permis l’essor de diverses mouvements sociaux comme #MeToo. Cependant, il a aussi encouragé la multiplication de propos haineux à l’égard de groupes marginalisés, dont les personnes LGBTQ2SIA+;
- Malgré la censure dont elle fait continuellement preuve, la plateforme Instagram est largement utilisée par de nombreuses personnes militantes. Celles-ci qui ont pu clamer cet espace pour montrer, entre autres, la diversité corporelle, sexuelle et de genre. En contrepartie, on voit de nombreux.ses jeunes souffrir de la comparaison entre la réalité et l’utilisation de filtres embellissants;
- On retrouve énormément de contenus en éducation à la sexualité sur TikTok. Il y a aussi des témoignages de personnes LGBTQ2SIA+ ainsi que des propos de spécialistes en santé sexuelle. Sans oublier diverses communautés d’intérêt qui s’y créent, regroupées sous des mots-clic comme #Sapphic, #LGBT, #QueerTok, etc. Malheureusement, on retrouve aussi des contenus masculinistes, transphobes, homophobes, racistes et cie. Ceux-ci renforcent les préjugés sur les femmes, les personnes queer, racisées, etc.;
- La plateforme OnlyFans a eu un grand impact. De nombreuses personnes n’oeuvrant pas dans le travail du sexe ont ouvert des comptes pour explorer le moyen d’y gagner sa vie. Certaines l’ont fait pour reprendre du pouvoir sur leur sexualité. D’autres ont été attirées par l’appât du gain. Sans nécessairement réfléchir à tout le travail qu’implique le fait d’entretenir ce type de média.
5. Une montée de l’intolérance envers les personnes LGBTQ2SIA+
La pandémie a donné l’occasion à un grand nombre de gens de se remettre en question. Que ce soit face à leur identité et expression de genre, leur orientation sexuelle ou leur rapport à la sexualité et au couple. Elle a aussi vu naître une forte radicalisation des idées qui continue son chemin. De plus en plus de groupes se soulèvent contre les personnes LGBTQ2SIA+. On sent une grande intolérance monter envers ces groupes marginalisés.
- Dans La Presse en février dernier, on pouvait lire que plusieurs organismes québécois, dont Interligne et le GRIS, s’inquiètent d’une « montée de violence envers les jeunes LGBTQ+ »;
- Le débat sur les toilettes mixtes a échauffé les esprits. Il a fait en sorte qu’on pointe du doigt les jeunes personnes trans, comme une sorte de « menace à la sécurité des personnes cisgenres »;
- Il y a eu une importante montée de haine envers les drag queens. Dans certains cas, elles ont même dû annuler des prestations à cause de menaces de violence.
Un bilan nécessaire
Si les derniers exemples peuvent sembler loin de la sexualité telle qu’on l’entend habituellement, c’est qu’on s’arrête seulement à l’acte. On oublie que la sexualité humaine comprend des tas de facettes comme l’identité de genre et l’orientation sexuelle.
Ce bilan nous permet de voir qu’il y a du positif et du négatif. Cela donne surtout l’occasion de constater des changements sociaux profonds qui questionnent nos normes et nos idées préconçues. Et se remettre en question, ça fait aussi partie de l’évolution d’une société. On peut juste souhaiter que tout ceci converge vers des visées bienveillantes, non-violentes et inclusives.