Un questionnaire auquel je réponds pour Moteur de recherche et dans lequel je te parle de science et de tabous!
Depuis maintenant 2 ans, je fais des chroniques sexologiques à la radio à l’émission Moteur de recherche. Cette expérience m’a beaucoup appris sur les différentes manières de vulgariser les informations et, surtout, sur la façon d’utiliser la science pour ouvrir les discussions et parler de sujets, disons… plus délicats. Évidemment, quand l’équipe m’a proposé de participer à une table ronde sur la démystification des sujets tabous, je n’ai fait ni une ni deux et j’ai dit oui immédiatement.
Pour moi, étudier et œuvrer en sexologie, c’est avant tout utiliser mes connaissances pour permettre aux gens d’avoir accès à des informations fiables. C’est également leur offrir des mots et des exemples accessibles pour mieux saisir les différentes réalités qui touchent la sexualité. Ultimement, mon but est d’arriver à faire comprendre qu’on peut parler plus aisément de thèmes peu évidents/gênants et/ou déstabilisants. Je partage avec vous les questions auxquelles on m’a proposé de répondre dans notre épisode spécial sur la vulgarisation scientifique pour les jeunes. Pour (ré)écouter l’émission, c’est par ici :
Pourquoi est-ce si important d’aborder les sujets tabous avec un angle scientifique auprès des jeunes?
Parce qu’il existe des tas informations disponibles sur le web et que de plus en plus de gens produisent des contenus – que ce soit en tant qu’influenceur.ceuses, YouTubeurs.ses, « sexpert.e.s », coachs de vie, etc. ». Comme il est de plus en plus difficile de faire la part des choses et de départager le vrai du faux, il faut que les jeunes puissent avoir des points de chute sécuritaires pour obtenir des informations fiables et vérifiées. C’est hyper important de démystifier des tabous et des sujets liés à la sexualité – que ce soit sur TikTok, YouTube ou Instagram, par exemple – mais encore faut-il que cette information soit véridique, réfléchie, fiable, inclusive et vérifiée.
Qu’est-ce qui est susceptible d’être ou de devenir un tabou?
De façon générale, je dirais tout ce qui, de prime abord, est mal compris. Tout ce qui semble « hors norme » ainsi que tout ce qui n’est pas encouragé par l’hétéronormativité, la cisnormativité, la monogamie, etc. En bref, tout ce qui ne correspond pas aux scripts sociaux normatifs, etc.
Avez-vous l’impression qu’il y avait des choses qui n’étaient pas tabous avant et qui le sont devenues au fil du temps?
Je pense que certains sujets sont devenus moins tolérés qu’avant. Par exemple, une personne ne s’affiche pas fièrement raciste, même si elle l’est. Elle aura des comportements, des paroles qui le seront, mais la plupart des gens racistes vont dire : « Je ne suis pas raciste !» ou « Je ne suis pas raciste, mais…». Parce que, de nos jours, c’est gênant et inacceptable d’avoir de tels propos.
Est-ce que les sujets qui sont tabous à un moment ou à un autre sont nécessairement des sujets qu’il faudra toujours travailler à décloisonner?
En fait, ça dépend pour qui, des normes sociales en cours et des cultures dans lesquelles on évolue. Je pense que tout ce qui relève de l’intime peut être tabou pour plusieurs personnes, étant donné qu’on a un lourd passé de restrictions et de condamnations à ce sujet. On peut penser à la masturbation qui a longtemps été considérée comme malsaine. Si on prend un exemple plus près de nous, il y a le sexe avec les robots qui est encore relativement tabou. Mais comme de plus en plus de gens s’y intéressent et que les développements technologiques avancent extrêmement rapidement, je pense que bien des gens commencent à voir d’un autre œil la sexualité avec des entités robotiques. Cela dit, il y aura toujours des personnes qui auront un malaise avec ces idées novatrices.
Est-ce qu’il y a certains sujets tabous qui sont peu traités dans les grands médias, mais qui sont pourtant très populaires sur les réseaux sociaux ?
Selon moi, les grands médias se penchent de plus en plus sur une variété de sujets, mais il y a encore des angles morts de la sexualité qui ne sont pas abordés. C’est une des raisons pour lesquelles les jeunes se retrouvent sur des plateformes comme YouTube et TikTok. Par exemple, on va vu récemment sur TikTok que plusieurs personnes ont mis de l’avant la célébration de la diversité des vulves/vagins. Plusieurs utilisateurs.trices se sont mis à parler du fait que les lèvres externes et internes peuvent avoir différentes grandeurs et qu’on ne devrait pas avoir honte qu’elles soient différentes, qu’elles dépassent, etc.
Les médias sociaux, comme TikTok ou Instagram, peuvent servir à mettre de l’avant des réalités moins discutées. Je pense aux différents jouets sexuels existants, les binders souvent utilisés par des personnes trans et non binaires, les prothèses péniennes, l’euphorie de genre, etc. Ce n’est pas pour rien que diverses communautés LGBTQ+ se retrouvent via les médias sociaux ; ce sont des espaces relativement sécuritaires pour mettre de l’avant des paroles plus marginalisées. Pensons à Tumblr qui a déjà été un safe space pour les gens de diverses communautés LGBTQ+.
Comment s’y prend-on pour aborder un sujet que l’on sait délicat?
La première chose à faire, selon moi, c’est de voir avec qui on aborde ce sujet et ce qui est approprié pour les personnes ciblées. Quel est le ton à utiliser? À quel endroit va-t-on parler de ce sujet? Est-ce un lieu sécuritaire où les gens peuvent recevoir de l’appui? Où on se sent libre de s’exprimer sans peur du jugement? On peut toujours utiliser des TW(trigger warning)/CW (content warning) ou traumavertissement pour aviser les gens à qui on s’adresse que certains éléments abordés pourraient les perturber. On doit aussi contextualiser et prévenir les sensibilités. C’est-à-dire que si, par exemple, on s’adresse à des enfants, il faut avoir en tête que les parents voudront s’assurer de ce qui est transmis et que les informations seront assez claires pour que la discussion puisse continuer facilement à la maison avec l’enfant.
Je pense qu’il est aussi important d’examiner, avant de se lancer sur un sujet délicat, la façon dont cela peut être perçu par différentes personnes/populations qui touchées de près. Si on aborde le travail du sexe sans avoir préalablement consulté des personnes qui le pratiquent, c’est problématique. Finalement, on doit aussi se questionner sur la raison pour laquelle on veut/doit parler de ce sujet en particulier. Est-on la bonne personne pour en discuter? Si oui, dans quel contexte est-ce approprié de le faire?
Est-ce que certains sujets devraient rester tabous?
Je pense que les tabous aident peu de façon générale; ils contribuent à conserver une chape de plomb sur certains sujets. Je crois fermement qu’on peut et qu’on doit nommer les choses. Il y a des façons de faire, des moments appropriés, des circonstances à créer, mais on peut le faire. Refuser de discuter de certains sujets ne les feront pas disparaître; ils vont juste demeurer incompréhensibles et encore plus obscurs. On doit se rappeler également que ce qui est tabou peut éventuellement devenir totalement acceptable. De nombreux éléments liés à la sexualité ont été, un jour ou l’autre, tabous. Mais les mentalités ont changé, on a évolué, etc. Bien sûr, il y a des cas extrêmes comme la zoophilie et la pédophilie. Mais, selon moi, le fait d’en parler fait aussi en sorte qu’on peut mieux comprendre les comportements problématiques. Cela permet également d’aider les personnes qui ont ces pratiques et en souffrent. Et aussi de protéger des victimes.
Est-ce qu’aborder un sujet tabou est un gage de succès? Est-ce que ça suscite beaucoup de réactions?
Évidemment, les sujets tabous sont souvent sensibles, voire épidermiques. Ils peuvent faire fortement réagir, choquer, déstabiliser, rendre mal à l’aise. Bien sûr, ils sont inconfortables. Mais l’inconfort, ça nous permet d’apprendre et d’avancer. De se questionner sur le pourquoi de ce malaise et comment l’outrepasser. Il y aura toujours des sujets qui ne feront pas l’unanimité et cela dépend de la sensibilité de chacun.e. Par exemple, ma chronique sur la tendance No Nut November a grandement fait réagir; un auditeur très choqué, voire même dégoûté, nous l’a fait clairement savoir.
Les menstruations amènent souvent des réactions; il y a toujours des personnes pour dire que c’est dégueulasse et que le sujet n’est pas d’intérêt public. Pourtant, ce l’est. En effet, si on ne parle pas de menstruations ouvertement et qu’on entretient le tabou autour de ce sujet, on cache le problème de la précarité menstruelle. C’est-à-dire qu’on met de côté les millions de personnes qui saignent et qui n’ont pas accès à des produits d’hygiène menstruelle et/ou à des installations sanitaires adéquates pour les gérer. Ce n’est pas rien. Aussi, tout ce qui touche à la non-binarité choque et amène énormément d’incompréhension. La sexualité des aîné.e.s gêne encore. Celles des personnes en situation de handicap. La ménopause n’est pas en reste non plus; on l’a d’ailleurs vu avec l’incroyable popularité du documentaire Loto-Méno avec Véronique Cloutier.
Quelles sont les grandes classes de tabous?
Selon moi, on trouve encore énormément de tabous par rapport à ces différents éléments: le corps, l’âge, les capacités physiques/intellectuelles, la santé mentale, le genre, l’identité, l’orientation sexuelle, les technologies. J’en oublie sûrement un bon paquet…