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Désir sexuel : les hommes et les femmes sont-ielles différent.e.s?

La Saint-Valentin arrive à grands pas. Chaque année, c’est la même rengaine : articles, promotions et publicités nous font miroiter l’idée qu’à l’achat de chocolats, jouets sexuels et lingerie, la sexualité sera au rendez-vous. À tout coup. Il est vrai qu’on a tendance à penser que le désir doit s’éveiller instantanément. Et ce, particulièrement chez les hommes. C’est d’ailleurs ce que suggère la question que nous a posé notre auditeur. Il demande :  

Pourquoi quand l’homme invite la femme au lit, généralement, elle refuse. Par contre, si elle nous invite, on court pour avoir une relation [sexuelle] (nous, les hommes, on ne refuse jamais). 

Les hommes et les femmes ont-ils une si grande différence de désir? Qu’en est-il réellement? J’offre quelques réponses à notre auditeur. 

Écouter la chronique audio.

*J’utiliserai ici les termes femme(s) et homme(s) pour correspondre aux termes utilisés dans les références proposées. Les études citées sont aussi très hétérociscentrées, car peu d’études s’intéressent à ces questions chez les populations trans et non-binaires. 

Le mythe de la frigidité féminine

Je tiens à le dire d’emblée : loin de moi l’idée de voir des intentions malsaines derrière la question de notre auditeur. Cela dit, son interrogation démontre bien qu’il y a un risque de tomber dans des interprétations erronées et problématiques face à la sexualité féminine. Je vous explique. 

On a longtemps pensé que les femmes étaient naturellement peu intéressées par la sexualité. Vous avez d’ailleurs probablement déjà entendu le terme « frigide » ou « frigidité » pour désigner l’état d’une femme qui n’a pas ou peu de désir sexuel, qui est peu réactive lors des relations sexuelles. L’utilisation de l’expression est souvent péjorative et fondée sur un amalgame de fausses conceptions de la sexualité féminine. Lorsqu’on s’intéresse à la définition du mot frigidité, on peut lire qu’il s’agit de la « qualité de ce qui est froid, de ce qui provoque la sensation du froid » (Larousse en ligne, 2023). Le second sens proposé est l’« absence d’orgasme chez la femme lors des relations sexuelles ».  

Froid, lent et anorgasmique

L’idée du froid chez la femme n’est pas non plus nouvelle : je vous en parlais l’an dernier dans une chronique sur l’origine de l’ovule. Dès l’Antiquité, on croit que la femme constitue une version incomplète de l’homme ; le corps féminin est l’inverse du corps masculin, mais les organes sexuels sont « pris » à l’intérieur. Selon les écrits du médecin grec Galien, qui ont une grande influence sur les savoirs scientifiques sur la sexualité, le corps féminin est donc plus lent, mou et, surtout, il est froid. Ce manque de chaleur fait en sorte que les organes génitaux n’ont pas le souffle vital pour sortir à l’extérieur du corps. 

Si l’on reprend la deuxième signification du Larousse, soit l’absence d’orgasme, on parlera plutôt d’anorgasmie. Et sans entrer dans trop de détails, car il y a, d’une part, les troubles de l’excitation et, d’autre part, la dysfonction orgasmique qui pourraient, l’un et l’autre, correspondre à ce qu’on croit être la frigidité, on comprend que le terme sert de fourre-tout pour perpétuer l’idée que, la sexualité féminine, c’est donc compliqué! De là la croyance qu’il faut travailler fort pour la stimuler. 

La romance prédatrice ou forcer le désir

Depuis longtemps, on considère le désir féminin comme faible, voire absent. En fait, c’est normalisé; au point même de considérer qu’il s’agit d’une résistance érotique, d’un jeu. Pensez à tous les films dans lesquels on voit ce scénario récurrent : une femme se fait lourdement « séduire » par un homme envers qui elle n’a d’abord aucun intérêt, mais avec qui elle finira par avoir une relation sexuelle/être en couple, car, tout au long du film, il a insisté. On perçoit ce type de comportement comme chevaleresque, puisque l’homme déploie tous les efforts afin d’arriver à conquérir celle qu’il convoite. Et on rationalise alors le fait qu’on doit soutirer la sexualité/l’intimité à une femme. 

C’est d’ailleurs ce qu’explique bien le YouTubeur Pop Culture Detective avec sa vidéo intitulée “Predatory Romance”. Il y décortique plusieurs films dans lesquels joue l’acteur américain Harrison Ford. Son analyse démontre efficacement comment la pression indue qu’utilisent les personnages qu’interprète Ford opère sur les héroïnes féminines. Elles sont alors soumises aux assauts (supposément romantiques) répétés de ce dernier, jusqu’à ce qu’elles craquent. Le consentement n’est donc absolument pas présent, car c’est l’insistance, voire la force qui met en place les conditions de la sexualité/la romance. Pas le désir ni l’envie de la femme. 

Exit le consentement

Maëlle Bernard, historienne de la sexualité et autrice du livre Histoire du consentement. Du silence des siècles à l’âge de la rupture (Éditions Arkhé, 2021), rapporte d’ailleurs que, dès le Moyen-Âge, on valorise et encourage la violence pour arriver à ses fins, entre autres via le rapt, donc l’enlèvement. Elle dit : « Si la jeune fille est ravie (enlevée) c’est parce qu’elle ravit son ravisseur, c’est-à-dire qu’elle provoque joie, admiration ou étonnement –volontairement ou non, en raison de sa nature. »

On joue donc sur les mots ravir (kidnapper) et être ravie (être enchantée), perpétuant ainsi l’idée que la femme doit être forcée pour apprécier la sexualité. Le chercheur en histoire de l’art, Jérôme Delaplanche l’exprime bien dans son article intitulé Images d’une pulsion. Les représentations d’enlèvement à travers les arts (2012). « [Avec le mot] ravissement : le vocabulaire permet de jouer ici d’une ambiguïté faisant croire que la femme partage secrètement la jouissance de l’agression […] ».  

Une généralisation qui fait mal… à tous.tes 

Ainsi, on comprend mieux pourquoi il y a un piège à généraliser l’absence d’envie de sexualité chez toutes les femmes. D’abord pour toutes les raisons qu’on vient d’évoquer, mais aussi parce que chaque femme est différente. On ne peut, en aucun cas, appliquer cela à l’ensemble des personnes qui s’identifient comme femmes.

Pour faire une analogie simpliste, c’est un peu l’équivalent de dire «  tout le monde aime le chocolat ». Ça vous semble si bon, que vous n’arrivez pas à concevoir qu’une personne n’aime pas ça. Pourtant, il y en a, ainsi que des gens allergiques, des personnes qui aiment cela moyennement, d’autres qui préfèrent le chocolat blanc, etc. C’est pareil avec les hommes: il n’est pas possible de dire que TOUS les hommes veulent du sexe. Simplement parce que c’est faux. Il y a des hommes asexuels, des hommes qui préfèrent la sexualité avec quelqu’un.e avec qui ils ont construit un lien d’attachement, d’autres qui préfèrent avoir des relations intimes seulement en couple, etc. Dire que tous les hommes veulent du sexe, c’est aussi stigmatiser ceux qui n’en ressentent pas le besoin et passer le message qu’ils sont « anormaux », alors que ce n’est absolument pas le cas. 

Se défaire les stéréotypes sexuels

Socialement parlant, on encourage les hommes à parler de sexualité plus ouvertement et à nommer leurs besoins et désirs. C’est moins le cas des femmes de qui on attend plus de discrétion sur ce sujet. Les stéréotypes de genre sont très puissants pour faire sentir aux hommes qu’ils doivent performer dans la sexualité et avoir un désir toujours présent et disponible. Personnellement, je vois les impacts de cela dans ma pratique et c’est très déstabilisant et souffrant pour un homme de ne pas atteindre les « standards » masculins attendus.

Autant on fait de la place pour parler des besoins sexuels supposément immenses des hommes, autant on n’en fait pas pour parler des fluctuations du désir chez ces derniers. C’est aussi ce que dit Sarah Hunter Murray, thérapeute de couple et autrice de Not Always in The Mood : The New Science of Men, Sex, and Relationships (Rowman & Littlefield Publishers, 2019) : « […] les normes selon le genre sont souvent dépassées. Si votre façon de ressentir le désir correspond aux stéréotypes de votre genre, tant mieux. Mais de nombreuses personnes n’entrent pas dans ces cases très délimitées. » (traduction libre) Elle indique également que de nombreuses études font état d’un désir sexuel plus similaire que différent chez les hommes et les femmes. 

Normaliser les fluctuations du désir

C’est aussi ce que stipule une récente étude intitulée Does Sexual Desire Fluctuate More Among Women than Men? et publiée dans Archives of Sexual Behavior. On rapporte que les stéréotypes de genre font en sorte qu’on exagère les différences sexuelles entre les genres. Alors que, pourtant, les fluctuations du désir sont assez similaires chez les hommes et les femmes lorsqu’elles sont mesurées à court terme. C’est à plus long terme que les femmes auront des fluctuations plus importantes. Et le désir des hommes est plus sensible et changeant face aux facteurs sociaux (environnement, stress, état du couple, etc.) 

En somme, tout le monde peut connaître des fluctuations de désir, peu importe son genre et/ou son sexe. Et des tas de facteurs internes (stress, confiance en soi, image corporelle, etc.) et externes (environnement, situation du couple, travail, enfants, etc.) peuvent faire en sorte que le désir soit plus ou moins présent. La meilleure façon de savoir s’il y en a? Communiquer : nommer ses besoins, ses limites. Être à l’écoute : de soi, de l’autre, des autres. Ça donne l’heure juste et ça permet d’éviter des généralisations qui peuvent nuire à vos relations.

Photo de une : Ketut Subiyanto

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