Un.e auditeur.ice nous pose la question suivante :
Est-il possible de jouir sexuellement uniquement par la pensée, sans stimulation physique, par exemple lors d’un rêve?
Réponse courte : eh bien, oui! On a d’ailleurs déjà abordé le sujet en septembre dernier avec les orgasmes nocturnes. Mais, sous la question de notre auditeur.trice, se cache des éléments intéressants qui nous amènent à creuser le comment du pourquoi on est capables, comme êtres humains, de jouir par la pensée. Et qui dit pensée, dit cerveau.
Le cerveau, organe du plaisir
En effet, ce que nous permet cette question, c’est de parler de l’importance de la place du cerveau dans le plaisir sexuel. Et ça, de nombreuses personnes ont tendance à l’oublier. On associe beaucoup l’orgasme à l’aspect physique de la chose, car il crée définitivement des réactions assez notables. Mais la réalité, c’est que, ce qui permet l’orgasme, c’est le cerveau.
Dans l’approche sexocorporelle en sexologie – qui a été proposée par Jean-Yves Desjardins, cofondateur du département de sexologie à l’UQAM – on fait d’ailleurs la différence entre orgasTe et orgasMe. L’orgaste, c’est l’excitation sexuelle et les réactions physiologiques du corps (ex. : lubrification, muscles en tension, éjaculation), tandis que l’orgasme correspond aux « charges émotionnelles positives (plaisir) qui accompagnent la montée de l’excitation génitale et qui culminent dans un lâcher-prise émotionnel lors de la décharge ». Selon cette approche intégrative qui s’intéresse aux liens entre cognitions, émotions et comportements, il y a donc une décharge physique et une décharge émotionnelle.
Une pratique millénaire
Ce n’est pas d’hier qu’on sait que l’on peut atteindre des états d’extase via la pensée; on n’a qu’à se tourner vers le tantrisme pour s’en rendre compte. Par contre, il faut faire attention à l’interprétation occidentale que l’on en fait, car, comme l’explique l’organisme sexologique Les 3 sex qui propose une recension des écrits sur les pratiques tantriques et la sexualité, il faut comprendre que la sexualité y est bien présente, mais comme une façon d’atteindre une forme de « libération spirituelle ultime ». Les visées ne sont pas les mêmes que celles proposées dans certains magazines populaires qui promettent, par exemple, des orgasmes inoubliables. Parce que l’orgasme dans le tantrisme n’est pas nécessairement une fin en soi. On est plutôt ici dans une volonté de connexion profonde avec soi-même. Et son.sa.ses partenaires.
Cela dit, il demeure que la pratique, même occidentalisée, du tantrisme peut apporter des bénéfices face à l’atteinte de l’orgasme. Par exemple, une pratique tantrique va amener la personne à se concentrer sur son ressenti, ce que son corps et ses sens perçoivent. En mettant l’accent sur ces éléments, on peut arriver à ralentir le flot de pensées, mettre de côté les tracas du quotidien, oublier le ménage à faire, les lunchs des enfants à préparer, ce qui peut grandement aider à se mettre dans un état plus réceptif aux sensations et au plaisir. Par exemple, chez les personnes avec un pénis, on peut s’en servir pour garder son érection et retarder l’éjaculation.
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Des études à l’appui
Plus près de nous, on sait que dès 1953, le pionnier de la sexologie Alfred Kinsey a fait une grande étude sur la sexualité dans laquelle il rapporte que 2% des femmes interrogées ont affirmé avoir des orgasmes seulement par la pensée.
Dans une étude réalisée en 2022 et publiée dans la revue Sexual Medecine, des chercheurs se sont intéressés au cas d’une femme de 33 ans qui, à l’aide d’un entraînement de yoga tantrique sur près d’une décennie pour gérer des douleurs liées au vaginisme*, disait être capable d’atteindre l’orgasme spontanément et au moment où elle le souhaite sans aucune stimulation génitale et seulement par la pensée.
*Vaginisme : contractions involontaires des muscles du périnée qui empêchent toute pénétration
La recherche a non seulement confirmé les capacités orgamisques de la femme en question, mais stipule aussi que l’on bel et bien peut jouir par la pensée via les orgasmes nocturnes (dont nous avons parlé), mais aussi après avoir fait un exercice physique. On ajoute que certaines femmes peuvent obtenir des orgasmes simplement en fantasmant ou en voyant certaines images inspirantes et que des hommes et des femmes paraplégiques ont même des orgasmes dits « fantômes ».
Un changement d’angle
L’étude conclut en spécifiant que les données colligées suggèrent fortement que les orgasmes sans stimulations génitales ne sont pas de « faux orgasmes » ou des orgasmes « partiels », mais « reflètent plutôt une induction descendante d’un véritable état orgasmique subjectif qui inclut des changements hormonaux objectifs. » En résumé, on est habitués à réfléchir l’orgasme en matière de processus de « bas vers le haut », soit des organes génitaux stimulés qui induisent une réaction du cerveau. Mais il est pertinent de le réfléchir aussi comme un processus inverse de « haut vers le bas », c’est-à-dire du cerveau qui arrive à stimuler les organes génitaux et créer une réponse orgasmique.
L’importance de l’imaginaire érotique
Ce que tout ceci nous dit, c’est également à quel point on doit mettre de l’avant l’imaginaire érotique. En somme, c’est tout ce qui constitue notre bagage mental lié à la sexualité et ce qui nous allume et nous inspire, érotiquement parlant. Ce sont toutes les images, pensées, idées, réflexions, odeurs, textures, sensations que l’on collige dans sa tête au cours de sa vie et qui construisent le terrain de jeu imaginaire dans lequel on peut s’amuser.
Puisque jouir par la pensée est bel et bien possible, c’est une bonne idée de travailler à élargir son imaginaire érotique pour en faire un répertoire le plus complet possible, question de s’offrir tout plein d’éléments à explorer qui sont disponibles pour créer de l’excitation. Même si le but n’est pas nécessairement d’avoir un orgasme sans stimulation génitale, il demeure qu’il est toujours suggéré d’avoir un imaginaire érotique flexible et ouvert. Cela permet d’avoir des ressources mentales sous la main pour s’assurer de ne pas être trop rigide dans ses préférences érotiques. Car qui dit rigidité, dit plus de chance d’avoir des insatisfactions et que ce soit plus difficile d’être stimulé.e.
Un outil de plus
Donc oui, jouir par la pensée est tout à fait possible. On comprend qu’il s’agit là d’acquérir une capacité à lâcher prise qui peut être fort utile aux personnes qui arrivent difficilement à atteindre l’orgasme par stimulation génitale, que ce soit en solo ou avec partenaire.s.
Mais ce n’est pas une raison pour se mettre de la pression pour y arriver à tout prix; on peut simplement s’inspirer de ce qui peut nous y mener (tantrisme, yoga, méditation, pleine conscience, autohypnose, etc.) et savoir qu’il s’agit d’un outil de plus à mettre dans son bagage personnel. Parce que le but, ultimement, c’est toujours bien d’avoir du plaisir!