Été 2021, la série Loki sort sur Disney + et boom! On y apprend que ce dernier, le méchant frère de Thor, apprécie « a little bit of both ». Bref, il est bisexuel. Plus récemment, DC Comics a annoncé que Superman, ou plutôt son fils Jon Kent, enfile dorénavant la cape et le lycra de son père et affiche sa bisexualité. Tant pour Loki que Superman, les réactions sont vives; un grand nombre de fans sont heureux.ses, mais plusieurs autres le sont beaucoup moins. Pourtant, il s’agit d’une bonne nouvelle, voire un grand pas vers l’avant. Pourquoi donc?
Briser l’hétéronormativité
Nombreuses seront les personnes à dire que notre société est ouverte et « tolérante » envers la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Mais ce mot – tolérer – en dit long sur la place qu’on fait aux personnes marginalisées. Tolérer, ce n’est pas accepter, c’est même plutôt être pris avec quelque chose et devoir faire avec. La vérité, c’est que nous vivons au sein d’une grande construction sociale hétéronormative. On tient pour acquis que toutes les personnes qu’on croise sont, d’emblée, hétérosexuelles. Et ça débute très tôt dans notre éducation.
Dès leur tout jeune âge, on encourage les enfants à agir selon certains codes genrés. Par exemple, dès la garderie, garçon et fille qui jouent ensemble suscitent des exclamations du genre: « Est-ce que c’est ta petite blonde/ton petit chum? » [mfn] À lire: La zone de l’amitié de Val-Bleu[/mfn] Dans une étude réalisée en 2017, une chercheure américaine a observé neuf classes de niveau préscolaire pendant 10 mois. Elle a fait trois constats importants. D’abord, les enfants entrent à l’école primaire et savent déjà que l’hétérosexualité est la norme. Ensuite, ielles sont déjà habiles à contrôler et faire respecter l’hétéronormativité dans les jeux et dans les relations avec les pairs. Finalement, ielles sont conscient.es qu’il y a des conséquences négatives à perturber l’hétérosexualité.
Très jeune donc, une majorité de personnes ressent un poids social. Comme une obligation à suivre un chemin qui semble tout tracé; les gars aiment les filles, les filles aiment les gars. Point barre. C’est pour cette raison, entre autres, qu’un superhéros bisexuel montre qu’il existe d’autres façons de vivre ses relations amoureuses/sa sexualité. Si un personnage – aimé du public, avec une forte agentivité (psychologique et sexuelle) – peut être bisexuel, ça passe le message que c’est normal. Que n’importe qui peut l’être et que c’est très bien comme ça. Pour des jeunes (et moins jeunes!), ça peut faire toute la différence en termes d’inclusivité et de représentation de leurs réalités.
Créer des nouveaux modèles…
Les enfants et les jeunes ressentent l’influence des images vues à la télé, au cinéma, sur YouTube, etc. On a juste à dire « Elsa » pour faire grincer des dents n’importe quel parent se croyant à l’abri des princesses. D’ailleurs, la fameuse Reine des neiges a été au cœur d’une campagne sur les réseaux sociaux liée à son orientation sexuelle. Comme le personnage n’a pas d’intérêt amoureux dans le premier film, des fans ont lancé le mot-clic #GiveElsaAGirlfriend, destiné à Disney, afin qu’on dévoile qu’Elsa n’a pas d’amoureux, mais plutôt une amoureuse! Le public espérait fortement qu’Elsa sorte du carcan hétéronormatif. Malheureusement, Disney n’a pas exaucé le vœu des fans plein d’espoir.
J’en conviens, l’importance accordée à la possible homosexualité d’Esla peut soulever des questions. Pourquoi mettre l’emphase là-dessus? Eh bien – tout comme Superman – cela permet de créer de nouveaux modèles. De sortir de l’éternelle représentation hétéronormative qui n’est pas la réalité de tous.tes, loin de là. En fait, selon l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (2015-2018), […] un quart de la population canadienne LGB est constituée d’hommes gais (255 100), tandis qu’un septième est constitué de femmes gaies ou lesbiennes (150 600). Les femmes bisexuelles (332 000) sont plus nombreuses que les hommes bisexuels (161 200) […]» Aussi, près du tiers des Canadien.nes LGBTQ+ ont moins de 25 ans. On sait que la représentation de la réalité LGBTQ+ dans les médias offre des modèles et crée un sens de la communauté pour les jeunes. D’ailleurs, dans “The Influence of Media Role Models on Gay, Lesbian, and Bisexual Identity “, une étude réalisée entre 2005 et 2006 avec des personnes LGBT, on rapporte que les personnages télévisés ont été influents sur « la réalisation de soi, le processus de coming-out et le confort avec son identité ».
Et célébrer adéquatement la marginalité
Avoir Superman comme icône bisexuelle – un immense héros, à la fois fort, droit, avec un incroyable don de soi – ça fait changement des vilains. En effet, bien des personnages LGBTQ+ sont dépeints comme mauvais et méchants. Disney, par exemple, qui a d’ailleurs racheté Marvel et donc, de nombreux films de superhéros (dont la série Loki), a une longue histoire de queer coding. C’est le fait d’inclure, dans l’élaboration d’un personnage, des éléments clés qui font dire que ce dernier pourrait être queer, mais sans jamais affirmer sa queerness. Certain.es créateurs.trices le font pour s’exprimer sur le sujet par des moyens détournés afin de ne pas subir l’opprobre du public et/ou des censeurs en général. C’est une tactique qui a émergé dans les années 40 en réponse au Code Hays, instauré pour réguler les productions cinématographiques américaines.
Mais alors que le queer coding peut amener une dimension intéressante à un personnage, dans le cas de Disney, on ridiculise ceux qui sont ainsi « codés ». On les rend efféminés, vulgaires et on s’en sert pour renforcer les normes de genre auxquelles on doit se conformer; un homme fort et viril, une femme féminine et délicate, etc. Par exemple, les super-héros et héroïnes méchant.es de Disney vivent souvent en marge, isolé.e.s, éloigné.e.s de leur famille. Ielles peuvent être dangereux.ses, sont souvent plus grand.es que nature et extravagant.e.s. Pensons à Ursula dans La petite sirène, portraiturée à partir de la flamboyante drag queen Divine. Superman, quant à lui, détonne. Il offre une vision positive et puissante d’une identité en marge, mais qui se normalise tranquillement.
Sortir des clichés de la masculinité
On évoque de plus en plus « les masculinités » pour parler des attitudes et comportements qui correspondent au genre masculin. C’est qu’on réalise qu’il n’y en a pas qu’une seule. Par contre, certaines attentes face au genre masculin restent bien présentes. Par exemple, on attend d’un homme virilité, responsabilité, fort, gestion des émotions et attitudes non efféminées. Superman ne sort pas tant de ces clichés.
Mais, là où c’est intéressant, c’est dans l’image qu’on présente de lui avec sa nouvelle identité bi. L’image qui a circulé le montre – fort, viril, découpé; masculin quoi – alors qu’il embrasse un autre homme à pleine bouche. C’est assumé. Pourtant, on sait que, même chez des hommes homosexuels passer pour straight (hétéro) peut être considéré comme une habileté. En effet, dans un chapitre du “APA Handbook of Men and Masculinities” publié par l’American Psychological Association (2016) et intitulé Masculinity Issues among Gay, Bisexual, and Transgender Men, l’auteur rapporte que plusieurs hommes homosexuels vont considérer que de ne pas « avoir l’air gai » est une qualité masculine. Une fois de plus, l’hétéronormativité est le barème à atteindre. Et ce, même chez des hommes qui, autrement, sont ouvertement homosexuels.
Superman permet d’associer une image fortement masculine – en fait, il incarne la masculinité idéalisée – et une orientation sexuelle marginale, souvent comprise par les personnes non-bisexuelles comme de l’homosexualité. On challenge ainsi la représentation masculine et ses prérequis en choisissant une figure inattendue , mais ô combien puissante en l’associant à une orientation sexuelle perçue comme ambiguë, voire incompréhensible pour plusieurs. C’est tout un pied de nez à la norme et ça fait du bien.
Déstigmatiser la bisexualité
Quand un superhéros tel que Superman est bisexuel, ça donne une incroyable visibilité et une légitimité à cette orientation sexuelle qui est toujours stigmatisée. En effet, il existe encore énormément d’incompréhension et de biphobie autour de la bisexualité. Nombre de gens voient cela comme une fausse orientation sexuelle et plutôt une homosexualité refoulée. On imagine que la personne n’arrive pas à se brancher et qu’elle utilise un terme « temporaire » pour se définir. Bien sûr, il y a des gens pour qui c’est le cas. Et c’est normal: la découverte de l’orientation sexuelle n’est pas toujours simple. En plus, la sexualité demeure fluide toute la vie. Mais de nombreuses personnes sont bel et bien bisexuelles. Elles ressentent une attirance sexuelle et/ou romantique, tant pour les hommes que pour les femmes.
On entend souvent que c’est une question de mode, de tendance. Les personnes bisexuelles sont vues comme indécises, immatures. On dit qu’elles veulent tout à la fois et sont hypersexuelles. Beaucoup de gens croient également qu’elles sont incapables d’être fidèles et de s’investir dans une vraie relation. Que, chez les femmes, c’est juste une façon d’exciter les hommes. Que, chez les hommes, c’est un moyen détourné d’éviter de se dire gai. On croit souvent que c’est une phase et que la personne aura éventuellement un choix à faire; soit hétéro, soit gai/lesbienne; pas d’entre-deux possible.
De plus, à l’intérieur même des communautés LGBTQ+, particulièrement chez les personnes homosexuelles et lesbiennes, il existe un préjugé négatif. On ne croit pas réellement à l’existence de la bisexualité. On demande même une forme d’allégeance aux personnes bisexuelles, car on croit que l’orientation sexuelle implique une seule voie exclusive. Mis ensemble, ces différents éléments font en sorte que les personnes bisexuelles vont avoir un risque plus élevé d’avoir des problèmes de santé mentale, de vivre des micro-agressions, d’être isolées, invisibilisées et, de plus, de vivre de la biphobie internalisée, c’est-à-dire intégrer les discours sociaux qui discriminent la bisexualité et la voient comme une orientation sexuelle honteuse.
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Superman est bisexuel, vive Superman!
Si certains.es ont affirmé que la bisexualité de ce héros en collant était juste une façon de « sauter sur un train en marche » ou que c’était juste pour « sexualiser les super-héros » – remettant ainsi de l’avant le cliché de l’hypersexualité des orientations sexuelles qui sont autres qu’hétéro – il reste que d’offrir aux jeunes (et moins jeunes) générations un Superman queer est tout de même un sacré tremplin pour parler plus ouvertement d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Je dis OUI à un monde dans lequel toute orientation sexuelle s’embrasse et se célèbre au même titre que l’hétérosexualité. Ce pas vers l’avant permettra peut-être à plein de petits héros et de petites héroïnes en devenir de s’afficher telles qu’ielles sont.
Photo de une : Yogi Purnama via Unsplash