Nous avons reçu la question suivante d’un auditeur qui s’interroge sur les effets de l’abstinence sur la sexualité :
Certaines personnes ont moins de sexe, et ce, peu importe la raison. Mais, pour notre santé corporelle, est-ce qu’il y a un maximum de temps après lequel un homme, par exemple, devrait se « vider » de son sperme? Et est-ce qu’il y aurait une action à faire aussi pour les femmes?
La question est très pertinente et nous amène sur plusieurs pistes. Je vous propose de décortiquer ce que fait l’abstinence en abordant ses effets positifs et négatifs sur la santé sexuelle et la sexualité.
Du point de vue des personnes avec un pénis…
D’abord, d’un point de vue strictement physiologique, le sperme qui n’est pas évacué va simplement être réabsorbé par le corps. Certaines personnes vivront des éjaculations nocturnes. Même si c’est beaucoup moins fréquent à l’âge adulte, ce n’est pas juste l’apanage des adolescent.e.s. Des personnes adultes avec un pénis fonctionnel peuvent tout à fait avoir des émissions nocturnes. Le corps produit du sperme tous les jours. Le processus de régénération complète de ce fluide corporel, la spermatogenèse, prend environ 64 jours.
S’il y a un danger à ne pas éjaculer pendant un certain nombre de temps, les adeptes du mouvement No Nut November – dont je vous ai déjà parlé – sont dans le pétrin. En résumé, le No Nut November consiste à ne pas se masturber ni éjaculer pendant un mois. Le but est de retrouver une certaine énergie sexuelle et se débarrasser d’une consommation de pornographie jugée trop massive. Selon les participants, il semble qu’au contraire, cela les rend plus en forme, plus confiants et mieux dans leur peau. Bien qu’il n’y ait pas réellement de preuves scientifiques qui appuient ces résultats, cela a probablement plus à voir avec l’état d’esprit de la personne plutôt que le fait d’évacuer ou non son sperme. De façon générale, les études existantes prônent plutôt la masturbation et l’évacuation des fluides.
Des bénéfices possibles à l’abstinence ou l’absence de sexualité
D’ailleurs, une étude parue en 2016 dans la revue European Urology et largement reprise dans les médias, offre des résultats intéressants. Après avoir analysé les fréquences d’éjaculation de près de 32 000 participants sur une période de 18 ans, on a constaté qu’une fréquence plus élevée d’éjaculation tout au long de la vie pourrait être liée à un moins grand risque de cancer de la prostate.
Il demeure toutefois qu’il n’y a pas de danger lié au fait de ne pas éjaculer. Ainsi, l’idée que l’homme doit absolument se masturber et/ou avoir des relations sexuelles afin d’atteindre le climax pour se libérer, c’est un mythe. Rappelons-nous également qu’il est tout à fait possible d’avoir un orgasme sans éjaculation.
… VS celles avec un vagin
Du côté des personnes avec un vagin, eh bien, on sait depuis longtemps que celles-ci peuvent éjaculer. En plus, elles ont aussi une prostate! Elles ne sont pas non plus en reste du côté des injonctions à l’éjaculation. En effet, dans le livre Fontaines : une histoire de l’éjaculation féminine de la Chine ancienne à nos jours de Stéphanie Haerdle (Éditions Lux, 2020), dont je vous ai déjà parlé, on peut apprendre que « nombre de philosophes de la nature et de médecins grecs croient en l’existence de deux substances procréatrices, la semence masculine et la semence féminine […] ». Pour certains, cette dernière est même indispensable à la procréation.
Par contre, on sait que ces savoirs se sont perdus à travers les époques. Jusqu’à oublier l’existence même de la prostate féminine et la capacité des personnes avec un sexe féminin d’éjaculer. Ainsi, la « dangerosité » de ne pas évacuer les fluides est bien relative du côté du sexe dit féminin. Soit on s’en est trop préoccupé, créant des injonctions absurdes et souvent non fondées, soit on s’en est carrément balancé.
Sinon, on peut aussi penser aux menstruations. Elles ne sont pas directement liées à la sexualité, mais plutôt à la santé sexuelle. Longtemps, on a cru que le corps devait absolument se débarrasser de ce sang que l’on croyait toxique, alors qu’il n’en est rien. Une personne avec un utérus peut tout à fait prendre la pilule en continu, sans que cela ne cause de problème. Le corps peut évacuer ce qui est nécessaire via les hémorragies ou saignements de privation. Ce sont de faibles saignements qui arrivent lorsque la personne est rendue aux pilules les moins concentrées en hormones/les pilules placebo. Certaines personnes auront ces pertes, d’autres pas du tout; cela varie grandement selon chacun.e. Ainsi, tout devrait se faire – s’il n’y a pas d’autres enjeux de santé – naturellement.
Le cœur (et le corps) a ses raisons
Peu importe son genre et/ou son sexe, rappelons-nous que l’abstinence/l’absence de sexualité a toujours été présente chez l’être humain. Et ça ne détériore pas sa santé. Si la sexualité était nécessaire, voire vitale – et on ne parle pas ici de perpétuer la race humaine – avec l’abstinence, on aurait des carences, des maladies, des incapacités diverses qui apparaîtraient rapidement. Ce n’est pas le cas.
Cependant, on ne peut pas s’attarder uniquement à l’aspect physiologique de la chose. Lorsque l’on parle de santé sexuelle, une panoplie d’éléments entrent en ligne de compte pour notre bien-être. Ce n’est pas pour rien que la santé sexuelle est considérée comme un droit humain par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Celle-ci offre de nombreux bénéfices. Par exemple, elle peut aider à réduire le stress et améliorer le sommeil. Elle peut avoir un impact positif sur le système immunitaire et baisser la tension artérielle. Elle améliore le tonus du plancher pelvien et peut réduire les risques cardiovasculaires et les douleurs chroniques.
Ça affecte aussi nos relations sociales, la façon dont on agit avec les autres. C’est aussi lié à notre agentivité sexuelle (la capacité à se choisir et agir comme personne sexuée). Mais, évidemment, cela ne s’applique pas exactement pareil pour chaque personne. Et on ne peut pas oublier ce que cela fait à notre tête et notre cœur. Si, globalement, ne pas avoir de sexualité n’apporte pas de problématiques particulières du côté physique, il peut tout de même y avoir des conséquences sur les aspects psychologique, émotionnel, relationnel, etc. Il y a autant de bénéfices que d’inconvénients; tout dépend de la façon dont on vit l’absence de sexualité et ce qui la motive.
Des motivations variées
Pour mieux comprendre, on peut se poser les questions suivantes : est-ce une abstinence volontaire ou pas ? Est-elle temporaire ou définitive ? Quelles sont les raisons derrière cela ? Est-ce que ça cause de la souffrance ou, au contraire, un bien-être ? Il y a des tas de cas de figure.
Par exemple, une personne peut tout à fait décider de mettre de côté la sexualité pour un temps. Peut-être pour se concentrer sur un projet de vie qui lui demande beaucoup d’énergie. Quelqu’un.e pourrait d’arrêter définitivement la sexualité, parce que l’envie n’est plus là. Sinon pour des raisons de santé ou des motivations religieuses, etc. Une personne peut désirer ardemment une vie sexuelle, mais être abstinente, car elle n’a personne avec qui partager ce moment d’intimité. En somme, il existe 1001 raisons de ne pas avoir de sexualité et tout autant pour en avoir.
Sans oublier l’asexualité, une orientation sexuelle encore trop méconnue. Les personnes asexuelles ne ressentent pas ou peu d’attirance sexuelle envers les autres. Parmi celles-ci, des personnes peuvent tout de même souhaiter avoir des relations sexuelles. Et ce pour diverses raisons: démonstration d’affection/d’amour, désir présent dans certaines circonstances, etc. Tandis que d’autres ne souhaiteront pas en avoir du tout. L’asexualité est un spectre sous lequel se regroupent aussi d’autres orientations sexuelles. comme l’asexualité grise (entre sexualité et asexualité) et la demisexualité (nécessité d’un lien affectif fort avec l’autre pour désirer une sexualité), etc.
Entre stigmatisation et remise en question ou comment l’abstinence est perçue comme un problème avec la sexualité
Ce qui affecte une personne qui n’a pas de sexualité peut aussi venir de l’extérieur. Car il faut dire que l’absence de sexualité est souvent mal perçue. On vit dans une société où le sexe est très présent. On DOIT avoir de la sexualité pour être soi-disant « normal.e ». C’est d’ailleurs pour contrer cette injonction que la journaliste et autrice Lili Boisvert a décidé, en 2016, de faire une pause de sexe pendant près d’un an. Dans Urbania, elle rapporte avoir fait un « fuck you mental à la pression sexuelle généralisée ». En 2011, c’est l’autrice Sophie Fontanel qui a fait paraître L’envie (Éditions Robert Laffont), un roman dans lequel elle raconte une période de sa vie sans sexualité. Les ventes ont explosé. Selon son attachée de presse, en entrevue pour Elle France à l’époque, le bouquin se vendait à près de 1000 copies par jour. C’est énorme pour une autrice peu connue. À ce moment, le public – majoritairement féminin – explique que cela crée des liens et permet de libérer la parole sur un sujet extrêmement tabou.
Plus récemment, la pandémie a fortement affecté les vies sexuelles. De plus en plus de gens, et particulièrement des femmes, ont fait le choix de l’abstinence consciente. Un peu comme l’a fait Lili Boisvert, c’est se questionner, fondamentalement, sur ce qui nous amène à avoir une sexualité à tout prix. Au-delà de la pandémie, on sait que tout cela n’est pas étranger au mouvement #MeToo qui a énormément brassé les consciences (même si pas assez encore) et remis en question les relations de pouvoir dans la sexualité.
Un choix (ou pas)
En somme, si l’on s’en tient seulement à l’aspect physique de la chose; il n’y a aucun risque à pratiquer l’abstinence, à choisir de ne pas avoir de sexualité. Mais, comme on l’a vu, la sexualité va bien au-delà de ça. Il faut donc savoir si la personne est bien là-dedans, si elle se sent à l’aise avec le fait de ne pas avoir de sexualité, si ça cause de la souffrance, si c’est un choix. Si la personne est heureuse et ne ressent pas le besoin d’en avoir; laissons-la vivre sa vie. Cependant, si la personne est malheureuse, que ça lui crée des souffrances, que ça à un impact sur son bien-être, c’est différent. Et un.e sexologue peut aider à démêler tout ça. Au fond, et comme je le répète souvent dans mes chroniques; écoutez-vous. Vous êtes l’expert.e de votre vécu.
Photo par Annie Spratt via Unsplash