Depuis bientôt 4 ans, je fais des chroniques qui portent sur la sexualité humaine. Après tout ce temps, le public est en droit de se dire : n’a-t-on pas fait le tour de la question? C’est d’ailleurs ce que soulève un auditeur assidu qui nous laisse fréquemment des messages sur notre boîte vocale. Il se demande justement pourquoi on parle encore de sexualité de nos jours. Voici quelques raisons qui démontrent que, parler sexe, c’est non seulement utile, mais c’est aussi primordial.
La sexualité, un tabou qui perdure
Malgré ce que l’on pourrait croire, il reste encore bien des gens pour qui discuter de sexualité est difficile. Il y a une gêne et, pour certain.e.s, une honte qui entoure ce sujet. Pensons à la masturbation, longtemps considérée comme une pratique malsaine et, même, néfaste. Disons que ce n’est habituellement pas un sujet de conversation qui se glisse n’importe où, n’importe quand. Du moins, sans que cela n’amène un petit malaise ou un rire nerveux.
Un autre exemple? L’herpès, dont je vous ai parlé lors de ma plus récente chronique. Il y a encore une chape de plomb autour de cette ITSS, mais également toutes les autres. Pourtant, selon la Santé publique, c’est au-delà de 40 000 Québécois.es qui, chaque année, reçoivent un diagnostic d’ITSS. Ces statistiques ont été colligées pré-pandémie. Depuis, plusieurs spécialistes – dont le Dr. Réjean Thomas de la clinique L’Actuel – répètent que les ITSS connaissent une hausse importante.
Ainsi, non seulement le tabou perdure, mais il nuit à nombre de personnes mal à l’aise de se faire dépister, de peur d’être stigmatisées. Pas pour rien qu’existe Prélib, un endroit à Montréal où il est possible de se faire dépister anonymement.
Si le tabou entourant les ITSS persiste, c’est aussi le fait qu’il existe encore, à tort, une croyance qui dit que la sexualité est une question privée qui ne concerne que soi-même. Et, à la limite, sa.son partenaire. Même encore. Pourtant, la sexualité est aussi une question de santé publique importante qui mérite sa place au sein de notre société.
Une vision de la sexualité encore très discriminatoire
Puisque l’on parle d’ITSS, il faut savoir que, selon Santé publique Ottawa, c’est seulement 9% des personnes âgées actives sexuellement qui utilisent le condom. La conséquence? Une hausse des ITSS chez cette population. C’est qu’on associe encore largement le sexe à des corps jeunes, minces, beaux et capables. Pourtant, la sexualité se vit partout et à tout moment. Avec des corps de tous types, de tous gabarits, de tous âges, etc. Cette vision restreinte fait en sorte que de nombreuses personnes âgées cachent leur sexualité. Même si, selon la revue Spiritualité et Santé du CHU de Québec, « elle représente un centre d’intérêt important pour 79 % des hommes et 65 % des femmes âgés de 60 à 69 ans ».
Selon la sexologue Jocelyne Robert et l’auteur Patrick Doucet, tous deux interviewés dans le magazine Coup de pouce sur le sujet, on a encore une vision très procréatrice de la sexualité, ce qui fait en sorte que l’on ne peut s’imaginer que des corps vieillissants sont encore désirants. Et pourtant! L’Organisme Les 3 sex a d’ailleurs lancé une campagne intitulée On existe. Ça existe. pour sensibiliser les gens au fait que les personnes âgées ont, oui, bel et bien une sexualité.
Cette façon de voir les choses ne s’applique pas qu’aux aîné.e.s; les personnes en situation de handicap sont souvent perçues comme asexuées, alors qu’il n’en est rien. On peut aussi parler de grossophobie; on considère souvent les personnes grosses comme moins désirables. Sans compter l’homophobie, la transphobie, la biphobie et toutes les variantes qui existent et freinent la possibilité de sexualités plus libres, curieuses et joyeuses.
Quand sexualité rime avec anxiété de performance
Avec toutes les injonctions nommées plus tôt (beauté, minceur, âge, capacité, etc.), il est normal de constater que les gens se questionnent sur leurs compétences sexuelles. Pour plusieurs, la sexualité amène du stress et de l’anxiété. Par exemple, il est difficile de se sentir à l’aise dans l’intimité quand on s’inquiète trop de son apparence physique. On le voit actuellement avec le fameux filtre Bold Glamour, hyper populaire sur TikTok. L’outil – de l’intelligence artificielle – est tellement efficace (du moins sur certains visages) qu‘il y une crainte que plusieurs utilisateurs.trices soient complexé.e.s par leur image corporelle sans filtre.
La porno n’est pas en reste. Loin d’être le mal incarné, elle est simplement le reflet de notre société. Et qui dit sexualité, dit souvent performance. Ainsi, les prouesses réalisées dans certains films X peuvent créer des attentes élevées et donner l’impression que les relations sexuelles doivent se vivre en mode triathlon. Et l’injonction à la pénétration qui est très présente peut aussi contribuer à mettre de l’avant des standards sexuels élevés : érection sur demande, coït long, grosseur de pénis, etc. Sans oublier les stéréotypes de genre que cela reconduit : femme passive, homme actif qui doit gérer ses pulsions, jouissance masculine plus importante, etc.
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Un fossé orgasmique entre les hommes et les femmes
Tous les éléments cités précédemment – stéréotypes, attentes, etc.- font également partie de ce que l’on nomme le fossé orgasmique dans les relations hétérosexuelles. C’est-à-dire un clivage majeur entre la capacité à avoir un orgasme chez les femmes versus chez les hommes, lors d’une relation pénétrative. On répète souvent ces statistiques en sexologie, mais c’est qu’elles sont parlantes. Seulement 65% des femmes atteignent l’orgasme avec la pénétration, contre 95% des hommes.
Cette division importante vient aussi du fait qu’on continue d’associer sexualité féminine à des mots comme « complexité, manque de désir, frigidité ». Et, côté sexualité masculine, à « pulsions incontrôlables, membre énorme, endurance ». Parler de sexe sert aussi à défaire ces idées préconçues qui font en sorte qu’on demeure dans des carcans hétérocentrés très restrictifs et, de surcroît, bourrés de clichés.
Vagin et vulve, pareil pas pareil
Ce fameux fossé orgasmique n’est pas étranger non plus au fait que l’on connaît encore bien mal le sexe dit féminin. Eh oui, même en 2023, il est fréquent de voir se répéter l’erreur de confondre vagin et vulve. Même si ces éléments sont entièrement différents et n’ont pas du tout les mêmes fonctions.
Cela s’explique également par le fait que, longtemps dans l’histoire de la sexualité et de la médecine, le sexe féminin a été relégué à un rôle secondaire. À la fois considéré comme une version incomplète du sexe masculin et comme un organe sale et diabolique, l’appareil génital féminin a connu 1001 versions des fake news de l’époque et on s’en ressent encore.
Retrouver des relations intimes saines après #MeToo
On le sait, les mouvements #MeToo ont ébranlé les consciences et apporté un certain désenchantement face à la sexualité et aux rapports intimes. Ce n’est pas surprenant qu’après tant de vagues de dénonciations, le cœur (et le désir) n’y soit pas. Dans la vie quotidienne autant qu’en clinique, je le constate : plusieurs personnes se demandent réellement comment vivre à nouveau des relations intimes dans la confiance et le respect.
Ce climat social a fait émerger des questionnements importants à propos de la sexualité, bien sûr. Mais aussi à propos de la masculinité, de la notion de consentement et de l’importance de la communication. Nous n’avons pas fini de réfléchir à ce sujet. En effet, le Ministre de l’éducation du Québec, Bernard Drainville, a annoncé le déclenchement d’une enquête générale sur les violences sexuelles dans les écoles primaires et secondaires. Ces violences semble-t-il, « se multiplient » peut-on lire dans Le Devoir. Si ceci n’est pas la preuve que l’ondoit encore parler de sexualité, je ne sais pas ce qu’il faudra.
Les jeunes sont exposé.e.s à leur premier contenu porno de plus en plus tôt
Et, parlant d’école, rappelons que les jeunes sont confronté.e.s de plus en plus tôt à des contenus pornographiques. S’il y a quelques années, l’âge de visionnement d’un premier porno chez les jeunes était de 11 ans, les parents mentionnent maintenant plus souvent l’âge de 9 ans. C’est très jeune pour se retrouver devant des images qui ne sont pas du tout créées pour elles et eux. Ces jeunes n’ont pas d’outils pour gérer cela.
De plus, il existe un énorme silence autour de ces contenus, encore trop peu abordés dans l’éducation à la sexualité, que ce soit à l’école ou à la maison. On comprend; le sujet n’est pas nécessairement facile à amener et aborder de front. Cela dit, rappelons-nous que l’on décortique de nombreux produits culturels en détail afin de s’assurer que cela ne nuise pas aux enfants. Pensons aux récents débats à propos d’inoffensifs spectacles de drag queens aux États-Unis et même ici. Pourtant, on fait comme si les contenus pornographiques n’existaient pas. Alors que l’on sait très bien que les jeunes tombent fréquemment nez à nez avec ceux-ci…
La pornographie, comme tout sujet qui touche la sexualité, devrait être abordée et expliquée aux jeunes pour les conscientiser face à ce type de contenu. On ne veut pas les laisser seul.e.s, impressionnables et démuni..es, devant des vidéos, photos, animés, etc. qui peuvent avoir des conséquences importantes sur la perception de leur corps, leur intimité et leur sexualité.
Comme un disque rayé : parlons-en!
Je pourrais continuer longtemps. Je peux trouver 1001 autres raisons qui expliquent à quel point il est important de discuter ouvertement de sexualité. Plus on en parlera, plus on fera tomber les tabous, les craintes, les incompréhensions. Parce que, jusqu’à maintenant, la peur, le déni, le mystère et l’interdiction n’ont fait que repousser des discussions que l’on doit finir par avoir. Ce n’est qu’une question de temps.