2021 est peut-être l’an deux de la pandémie, mais c’est aussi un moment charnière où beaucoup de nouvelles expressions ont fait leur apparition. Celles et ceux qui ont écouté le Bye Bye 2021 l’auront constaté; le mot woke a été consacré dans un sketch mettant en scène François Legault et son épouse, tous deux pris en pleine invasion de zombies, scène judicieusement rebaptisée Woking Dead. Autre entrée fracassante (et clivante) dans la culture populaire; le mot iel s’ajoute au dictionnaire Robert. On se rappelle encore les échanges musclés qui ont suivi sur les changements de notre vocabulaire.
En voyant ce portrait, on peut se demander si 2022 sera aussi teintée de transformations langagières et de questionnements sur la nécessité de toujours ajouter de nouveaux mots. La réponse courte : oui. Et plusieurs termes, tout comme iel, proviennent d’un domaine qui s’intéresse de près aux questions d’identité, de genre et… de sexualité. J’ai nommé: la sexologie! C’est donc pourquoi votre humble chroniqueure s’y colle.
Se complexifier la vie ou plutôt… nommer des choses complexes?
Je vous entends déjà : « Mais pourquoi se compliquer la vie avec toujours plus de nouveaux mots? » Eh bien, c’est d’abord parce que la langue évolue, mais également – dans le cas qui nous intéresse – parce que la sexualité humaine est un univers complexe. C’est aussi un élément qui fluctue toute la vie. De plus, il faut se rappeler que l’on commence à peine à aborder ce sujet avec un peu moins de réticence et de gêne qu’auparavant.
C’est donc plutôt normal qu’on en questionne les termes et définitions existants et de réaliser que plusieurs méritent d’être revisitées, voire parfois réinventées. Je vous propose un petit survol des termes, tendances et pratiques que vous risquez fort de voir passer sur vos différents médias sociaux et sites de nouvelles qui s’intéressent un tant soit peu aux phénomènes de société et, surtout, à la sexualité!
Mini-glossaire sexo pour gens en manque… de mots!
*Petite note avant de se lancer : plusieurs mots sont en anglais, je tenterai de les franciser au meilleur de mes capacités. Aussi, ces termes ne sont pas nécessairement nouveaux, mais sont plutôt remis au goût du jour pour s’adapter aux nouvelles réalités.
Aftercare (soin d’après ou après-séance)
Après le consentement, c’est certainement le terme dont vous risquez le plus d’entendre parler. Pas nouveau du tout, l’aftercare vient du monde du BDSM. Pour les néophytes, les lettres BDSM signifient Bondage, Discipline/Domination, Soumission et Sadomasochisme. Dans cet univers, on instaure un moment de soin après une relation sexuelle qui peut impliquer des pratiques émotionnellement et physiquement exigeantes. Le principe est d’offrir un temps pour prendre soin l’un.e de l’autre (ou des autres) et pour revenir sur le moment qui vient d’être vécu. Et pour ça, pas nécessaire d’avoir des pratiques kinky. En effet, de plus en plus de spécialistes considèrent que l’après-séance gagnerait à être instaurée après tout type de relation sexuelle.
La raison première, c’est qu’une relation intime ne s’arrête pas directement après un acte sexuel et qu’on peut s’assurer que les personnes impliquées soient satisfaites et se sentent bien. L’autre raison, c’est que de nombreuses personnes ressentent, après une relation sexuelle, ce qu’on appelle le « blues post-sexe » ou « dysphorie post-coïtale ». Déprime, tristesse, anxiété, colère, agitation; cela peut prendre plusieurs formes et on ne connaît pas encore bien les raisons pour lesquelles cela se produit.
Selon Healthline, quelques hypothèses sont possibles, comme une fluctuation hormonale, la résurgence d’anciens traumas, la façon dont la personne considère la relation et/ou la sexualité dans son ensemble, etc. Après une relation sexuelle, on peut se sentir vulnérable, émotif.ve et c’est normal; la sexualité vient chercher des émotions complexes et nous fait parfois franchir certaines limites, ce qui peut nous fragiliser. Conséquemment, intégrer une routine de bien-être à ses pratiques sexuelles peut aider à gérer ce sentiment et faire en sorte qu’on installe un moment pour se poser avant de reprendre nos occupations.
Vanille VS kinky (conventionnel VS non-conventionnel)
Puisqu’on parle de kink… Vous avez peut-être déjà entendu ces termes qui servent à définir le type de sexualité qu’on aime et/ou qu’on pratique. Ces expressions émergent des communautés kink dans les années 70 pour différencier la sexualité kinky de celle qui ne l’est pas. Ainsi, la sexualité dite « vanille » est une référence à la crème glacée à la vanille qui est « simple, basique et conventionnelle ». Alors que la sexualité kinky est celle qui sort de l’ordinaire et qui inclut, par exemple, des jeux de rôle, des jouets sexuels, des pratiques SM, etc. Ces dénominations font actuellement un fulgurant retour qu’on peut mettre sur le compte de TikTok et un peu… de Gwyneth Paltrow.
C’est que l’an dernier, de nombreux.ses utilisateurs.trices de TikTok ont partagé, sur le réseau social et à l’aide du mot-clic #kinktok, les résultats de leur « kink test ». Intitulé le BDSM test, ce quiz s’adresse aux personnes kinky débutant.e.s de 18 ans et + qui ont envie de découvrir quels archétypes BDSM peuvent leur correspondre. Des exemples? Voyeur, exhibitionniste, non-monogame, esclave, etc. Le test a connu une grande popularité.
On peut aussi évoquer la possible influence de l’émission Sex, Love & Goop avec Gwyneth Paltrow, actrice et gourou du bien-être. La série télé, créée en collaboration avec Netflix, met de l’avant l’Erotic Blueprint Quiz, un questionnaire qui permet de connaître sa personnalité érotique parmi cinq types soit énergique, sensuel.le, sexuel.le, shapeshifter ou… kink. Beaucoup de gens ont certainement fait des recherches sur le sujet à la suite, sans compter l’inépuisable popularité de 50 shades of grey.
Circlusion
En octobre dernier, je vous parlais de l’ovule et de tout le système reproducteur femelle qu’on a longtemps cru passif et seulement en attente des valeureux chevaliers que sont le pénis et les spermatozoïdes pour être fécondé, On a su qu’il n’en est en fait rien et que tout ce système est extrêmement actif et, même, fait tout pour retenir les spermatozoïdes qui, eux, veulent fuir. Disons que ça change la donne d’avoir ces informations. La circlusion arrive à son tour pour briser l’idée que le sexe féminin ou l’anus ne sont que des orifices passifs à pénétrer.
Le terme circlusion aurait été inventé par la philosophe allemande Bini Adamczak et signifie entourer, enrober, lors d’une relation sexuelle. On indique ainsi que le vagin ou l’anus englobent en fait le pénis et/ou le jouet sexuel et n’existent pas seulement, sexuellement parlant, pour être pénétrés. Repris par la journaliste Maïa Mazaurette dans son dictionnaire La Verge, la Vulve et le Vibro (Éditions de la Martinière, 2021), le terme circlusion est, selon cette dernière, nécessaire pour changer les rapports de force, tant dans les relations sexuelles hétéronormatives que queer.
Outercourse (rapport non pénétratif)
Notre auditrice Fannie Blanchet était déjà à l’affût des tendances en 2020, alors qu’elle nous demandait si une sexualité sans pénétration est possible. La réponse est bien évidemment oui et cette idée fait du chemin depuis un certain temps déjà. En effet, de plus en plus de personnes souhaitent redéfinir la sexualité et que la pénétration ne soit plus la seule au centre de la relation sexuelle.
L’expression outercourse, inverse d’intercourse qui sous-entend un rapport pénétratif, met en lumière des rapports intimes qui utilisent l’extérieur du corps et n’impliquent pas de pénétration du vagin ou de l’anus. Par exemple, on peut penser à la stimulation de zones érogènes comme les seins, les mamelons, les fesses, etc. Ou à des pratiques comme le dry humping (ou frottage), le massage du périnée ou le sexe oral (cunnilingus, fellation, anulingus, etc.). Tout l’ensemble du corps peut être érogène; il y a de quoi s’amuser!
L’idée derrière cette tendance? Sortir de l’injonction à la pénétration comme LA définition d’une sexualité dite « complète ». Au contraire, un rapport sexuel peut prendre 1001 formes. Mettre continuellement la pénétration à l’avant-plan a plusieurs conséquences importantes. On hiérarchise les types de relations sexuelles, on élargit le fossé orgasmique et on invisibilise les pratiques sexuelles non hétéronormatives.
Menstrubation
Prenez les mots menstruations et masturbation, mélangez-les ensemble bien comme il faut et vous obtenez… menstrubation! C’est le fait d’utiliser la masturbation pour réduire les douleurs menstruelles. Le terme a été lancé par deux compagnies, Womanizer et lunette, qui ont fait équipe pour réaliser une toute première étude sur l’impact du plaisir solitaire sur les douleurs pendant les règles. L’an dernier, ces marques ont proposé à 341 personnes menstruées de participer à une étude clinique. Pendant ces trois mois, les participant.es évitent les analgésiques et ont recours à la masturbation pour gérer les douleurs menstruelles. 70% des personnes participantes ont rapporté un impact de la masturbation régulière sur l’intensité de la douleur.
Comme on l’indique dans un article du Huffington Post, c’est à l’avantage de la compagnie Womanizer d’avoir des résultats probants, étant donné qu’elle vend des jouets sexuels. Mais des preuves scientifiques supportent l’idée que la masturbation peut aider à réduire les douleurs menstruelles. En fait, c’est l’orgasme qui « libère des hormones qui modifient la perception de la douleur : la dopamine et la sérotonine qui augmentent le plaisir, l’ocytocine qui fait diminuer le cortisol, associée au stress, et des endorphines aux effets euphorisants. »
À LIRE ÉGALEMENT : TikTok : une bonne plateforme pour l’éducation à la sexualité?
Des pratiques en vogue
Parmi les mots qui reviennent souvent, plusieurs représentent des pratiques sexuelles très spécifiques. Encore une fois, pas nécessairement nouvelles, mais définitivement remises de l’avant. En voici trois qui font jaser:
Edging (contrôle de l’orgasme)
Le edging est une pratique assez ancienne. Il semble que l’on s’en servait déjà dans les années 50 pour traiter l’éjaculation précoce. Elle fait référence à une personne qui se rend à la limite de l’orgasme, mais qui fait une pause pour augmenter la tension, recommence à se stimuler, stoppe à nouveau et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elle atteigne le climax. La méthode donnerait des orgasmes amplifiés.
Pegging (cheviller ou chevillage)
C’est lorsqu’une femme cisgenre utilise un strap-on (ou un gode-ceinture) pour pénétrer analement un partenaire de sexe masculin. Même si la pratique est dépeinte dans la culture populaire (on pense au film Deadpool, entre autres), elle demeure encore tabou pour bien des gens. Comme masculinité rime souvent avec virilité, on associe plus volontiers la personne de sexe masculin au rôle sexuel actif. Pour certain.e.s, le fait qu’un homme se fasse pénétrer semble avilissant, alors qu’il n’en est rien. En plus, bien des hommes gagneraient à explorer cette avenue pour élargir le spectre de leurs plaisirs sexuels.
Sploshing (éclaboussures)
L’occasion idéale d’amalgamer votre passion de foodie à vos plaisirs coquins! Le sploshing fait partie de la famille des fétiches nommés WAM (wet and messy ou mouillés et sales). C’est « un fétiche dans lequel les gens tirent une excitation sexuelle et un plaisir d’être couverts de produits alimentaires et de boissons » explique le magazine Mic.com. L’expression sploshing aurait émergé d’un magazine paru dans les années 80 sur les fétiches du genre et nommé Splosh!. D’où vient la soudaine popularité de cette pratique kink qui n’est pas du tout émergente? TikTok, bien sûr. Mais en version plus soft, très bonbon et, évidemment, acceptable pour le réseau social. Disons que c’est un aperçu de ce que peut être la pratique.
Des occasions de découvertes… sans pression
On s’entend : ces nouvelles tendances ne sont pas des prescriptions. Ce sont des éléments qui existent et qui peuvent s’utiliser pour renouveler votre sexualité ou simplement assouvir votre curiosité. Ou on peut les laisser de côté. Ceci fait tout bonnement partie d’un vocabulaire fluide qui évolue. Cela permet à plusieurs personnes, entre autres, de briser les tabous autour de pratiques et appellations perçues comme plus marginales. Cela donne l’occasion de partager avec des gens qui ont les mêmes envies, besoins et désirs. Et de pouvoir nommer ces choses-là.
Bref, sans nécessairement se garrocher sur toutes les tendances qui émergent ou ressurgissent, ouvrons simplement nos horizons, embrassons le changement. Si ce n’est pour nous, faisons-le pour d’autres qui peuvent ainsi valider leurs sexualités et désirs.